Le jeune homme prétendait chaque fois qu'il avait besoin de « s'aérer l'esprit », mais la vérité était tout autre : Harry Quebert et sa romance interdite l'inspiraient. Marcus faisait souvent semblant de travailler alors que, du coin de l'œil, il zieutait son ami annoter des dissertations. 

Il tentait de l'imaginer plus jeune, comme sur les photographies qu'il avait vues l'autre nuit, en train de rédiger Les Origines du mal en ce fameux été de 1975, avec une gamine penchée sur son épaule qui lui soufflait des mots doux à l'oreille. À cette seule image florissaient mille idées de péripéties et de figures de style dans l'esprit de Marcus. Cela l'avait forcé à tout réécrire le début de son roman, mais ses efforts en valaient la peine : le deuxième jet était bien meilleur que le premier.

Bref, à son insu, Harry et Nola étaient devenus ses muses.

—   Votre roman, il avance, mon brave Marcus? lui demanda-t-il un matin, tandis qu'ils reprenaient tant bien que mal leur souffle après un combat de boxe amical sur la plage.

Marcus, le corps plié en deux, mains posées sur les hanches, prit de grandes respirations avant de lui répondre — c'est que Harry frappait plutôt fort pour son âge.

—   Très bien, merci.

—   J'ai toujours hâte de vous lire, vous savez.

Ainsi encouragé, Marcus se décida à lui faire lire les premières pages de son manuscrit dès leur retour à la maison. Harry, les yeux parcourant à vive allure les lignes dactylographiées, poussait ici et là des exclamations parfois admiratives, parfois réprobatrices. Sa lecture achevée, il se moqua gentiment :

—   Un homme et une femme qui s'aiment inconditionnellement mais qui ne peuvent s'aimer au grand jour? Attention, Marcus, vous êtes en train de parodier Les Origines du mal.

—   Oh... Vous trouvez, Harry?

Il devait vraiment avoir l'air piteux, car Harry éclata de rire et s'empressa de le rassurer :

—   Mais non, je vous taquinais. Ce n'est vraiment pas mal du tout, c'est même prometteur, mais je sais que vous pouvez faire mieux que ça.

—   Comment?

—   Creusez la psychologie de vos personnages, revoyez les motivations de chacun! Améliorez vos fins de chapitre! Là, il n'y en a aucun qui donne vraiment envie de lire le suivant. Oh, et par pitié, coupez vos phrases! Vous vous prenez pour Proust, ou quoi?

Marcus rit, un peu embarrassé, et lui assura qu'il retravaillerait sans faute ses personnages, ses idées et son style quelque peu tarabiscoté.

—   Je me demande ce qu'en pensera Daisy, lança-t-il en remettant ses feuillets en ordre.

Harry hocha la tête.

—   Ça fait un moment qu'elle n'est pas passée, remarqua-t-il.

—   C'est vrai. Elle doit être occupée avec ses cours.

Marcus l'ignorait encore, mais il avait tort sur toute la ligne.

Il en prit pleinement conscience le lundi soir qui suivit, pendant qu'il attendait que Harry revienne de Concord : il s'y était expressément rendu pour donner une entrevue à une station de radio bien populaire de la région.

Marcus se félicitait d'avoir autant écrit cet après-midi quand il entendit les portes d'une voiture claquer à l'extérieur. Harry était de retour. Il se leva pour aller leur préparer du café, mais s'arrêta en plein mouvement quand une voix agressive s'éleva de l'autre côté de la porte d'entrée :

Rimbaud et LolitaWhere stories live. Discover now