XI

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Jenna et Will ne remirent pas un pied au labo pendant des jours, ils ne les comptaient plus, préférant se laisser porter par le courant sans y penser. Comme si se démonter entre le temps et l'espace apaiserait leur mal, les rendrait à nouveau complets. Leur bureau chaotique se lamentait dans le silence, tout comme leurs appartements et leur quotidien blessé. Ils avaient conscience de l'état pathétique qu'était le leur, allongés dans un endroit qui ne ressemblait pas à chez eux, le corps prêt à être balancé dans la terre. Jenna regardait les heures et les heures défiler de l'autre côté du cadran, affalée sur ce tapis qu'elle n'avait jamais aimé, confinée dans la maison de ses parents. Elle portait l'étouffement constant des souvenirs imprégnés dans chaque pièce, planant du papier peint aux babioles étalées un peu partout. Elle avait tout essayé. Retourner dans le cocon familial avait été un échec puisqu'elle se rendait rapidement compte que dans sa mémoire sa seule famille ici bas, c'était lui. Marcher, retourner les lieux de fond en comble, lire, étudier. Non rien ne fonctionnait. Alors elle adoptait cette attitude passive de dormeuse en attendant que quelque chose se passe. Elle perdait le compte des jours, des semaines puis des mois. De plus, elle se mourait dans sa solitude, abattue sous le poids des minutes interminables. Les motifs sur les murs, les ombres sur le plafond, le bruit des arbres, tout cela n'avait plus le moindre secret pour son cerveau embrumé. Jusqu'à ce soir là, celui où gelée elle s'était redressée en un sursaut, avait balancé ses couvertures inutiles. Des voix et des discours vifs se mêlaient dans la salle à manger. Ses parents étaient de retour. Jenna se remit sur ses pieds lourdement en se demandant depuis combien de temps. Elle avait le sentiment de revenir des morts, ne s'étant même pas rendue compte de la couche de poudreuse recouvrant le jardin. Même le voile de cristal orangé du crépuscule avait l'air terne à ses yeux. La torture psychologique qu'elle s'imposait lui obstruait la vision. Durant une courte seconde elle crut en perdre la raison, couchée dans un avant goût d'apocalypse. Mais l'instinct de survie la porta jusqu'à l'origine des bruits amortis dans les longs couloirs. Poussant la porte en bois vernis de ses doigts faibles elle trouva un bien triste tableau. Autour de la vaste table habituellement objet de festivité, son père et sa mère se faisaient face. Lorsqu'elle posa un pied sur la moquette rouge ils lui lancèrent un regard malheureux et lourd de sens. Jenna sentit qu'elle était à deux doigts d'abandonner tout ce qui lui restait et que – contrairement à ce qu'elle avait cru – la situation pouvait toujours s'aggraver. Elle affrontait pleinement son impuissance et ses faiblesses. Et il n'y avait rien à faire. Rien du tout.

« -Jenna... Nous avons quelque chose à te dire, lança alors sa mère, consciente que sa fille savait déjà tout. »

Cette simple phrase était la goutte d'eau qui provoqua la grande vague de destruction qui s'ensuivit. Elle était la preuve et la révélation de toutes ses craintes. Elle était la première faille dans la carapace d'or qu'ils avaient construite. Elle était le déclenchement d'une extermination interne de ce que Jenna Holden avait toujours pensé être. Et pire que tout, bien qu'elle n'en savait rien, cette simple phrase serait à nouveau prononcée quelques années plus tard, par une mère à une autre fille.

Saleté de destin, qui balance tout et sans scrupule.

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