Carla - Réécriture

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Au bout de deux mois de cohabitation avec Xavier, le jour J est arrivé, je déménage. La perte de notre enfant a été une phase très difficile pour nous. Malgré tout, je l'ai laissé me convaincre de nous donner une seconde chance. Je voulais croire que les morceaux pouvaient se recoller. Il a fait des efforts, je ne peux pas dire le contraire. Il était attentionné, patient quand mes crises de larmes redoublaient mais... J'ai vraiment cru pouvoir effacer son écart de ma mémoire. Cependant, je n'ai jamais réussi. Il m'était impossible d'en faire abstraction. Je refusais qu'il me touche et de devoir partager le lit conjugal était un supplice. Quoi qu'il en dise, j'ai vraiment essayé mais j'avais l'intuition de ne pas pouvoir lui faire à nouveau confiance. Impossible à expliquer, c'était viscéral. La situation s'est dégradée jusqu'à un point de non retour. Nos engueulades se sont multipliées et certaines de ses paroles blessantes sont restées ancrées en moi : " Qu'est ce que tu crois, si je suis allé voir ailleurs, c'est de ta faute. Tu aurais été moins frigide, je n'aurais pas été obligé de satisfaire mes besoins ailleurs". J'ai finalement pris la décision de divorcer. Quant à lui, il est aussitôt allé se consoler auprès d'elle.

Mon père est là avec le camion de location pour charger les derniers cartons pendant que le reste de la famille se trouve dans mon nouvel appartement à monter les meubles. Je sais bien, ils ont du mal à croire à notre séparation et le peu d'informations que je leur ai communiquées ne les a pas aidés à comprendre. Je suis restée vague sur le sujet, prétextant seulement que le temps avait fini par nous éloigner. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas dignes de savoir mais le formuler à voix haute m'est impossible. J'ai fait le deuil de mon couple mais pas celui de mon bébé.

_ C'était le dernier, tu es prête ?

_ Je fais un dernier tour de la maison pour vérifier que je n'ai rien oublié et je te rejoins.

Le cœur est lourd lorsque je traverse les pièces. J'ai emmagasiné tellement de souvenirs ici, des bons comme des mauvais. Je me revois heureuse à notre emménagement. J'ai l'impression d'entendre encore mon rire en les parcourant. Il m'a désertée depuis un moment. Je ne suis pas amère. Je n'ai pas de haine. Je ne ressens juste plus rien.

_ Si tu savais à quel point je suis désolé.

Xavier me fait sursauter. Je ne l'avais pas vu, replié sur lui-même dans un coin de ce qui fut notre chambre.

_ Je suis lasse de me battre contre toi. Nous avons eu cette conversation des dizaines de fois sans réussir à ne pas nous hurler dessus.

Il se lève et avance dans ma direction.

_ Je peux te prendre une dernière fois dans mes bras ?

_ Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

_ S'il te plait.

Je ne suis pas d'humeur à résister. Je veux juste en finir, partir et tourner la page. Je décide de le considérer comme le point final mis à notre histoire. Celui qui devrait m'aider à aller de l'avant.

_ Je t'aime et je t'aimerai toujours.

_Tu lui dis aussi à elle.

Je n'ai pas pu m'en empêcher, c'était plus fort que moi.

_ Elle ne sera jamais toi.

_ Effectivement, elle baise mieux.

Je claque la porte sans un regard derrière moi.

Je suis désormais aux côtés de mon père et nous prenons la direction de Clisson. J'ai mis du temps à choisir dans quelle ville je souhaitais m'établir et peu à peu, elle m'est apparue comme une évidence. J'ai toujours aimé venir flâner dans ces ruelles étroites bordées par la Sèvre. Située à trente kilomètres de ma famille, c'est parfait pour m'éloigner un peu d'eux, de leur amour qui m'étouffe en ce moment tout en pouvant continuer à les voir régulièrement. Je suis la benjamine d'une fratrie de trois enfants. Mes deux frères ont toujours eu une attitude surprotectrice à mon égard mais là, c'est du jamais vu. Ils me couvent comme une poule le ferait avec son œuf, surtout Paul, l'aîné. J'ai toujours été proche de lui et je pense qu'il sent mon mal-être. D'un autre côté, je ne lui offre pas une image rassurante de moi. J'ai l'air d'un zombie. Les cernes mangent mon visage et je flotte dans tous mes vêtements.

_ Tu sais ma fille, tu as le droit de craquer. Cela restera entre nous.

Il ne m'en faut pas plus pour éclater en sanglots. Il gare le véhicule me faisant réaliser que nous sommes déjà arrivés puis me serre contre lui. Être bercée par les bras de mon père, je ne sais pas depuis combien de temps cela ne m'était pas arrivé mais cela m'apaise rapidement, comme lorsque j'étais enfant et qu'il me consolait après une mauvaise chute ou quand les garçons avaient encore volé une de mes poupées.

_ Avec ta mère, nous ne sommes pas dupes. Nous savons très bien que tu ne nous as pas tout dit et nous ne te forcerons pas à le faire. Sache juste que le jour où tu seras prête à le faire, nous serons là pour t'écouter.

_ Un jour, promis.

Je lui souris.

_ Allez, dépêchons nous de les rejoindre avant qu'ils s'inquiètent de ne pas nous voir monter.

J'entre pour la première fois chez moi depuis la visite de l'appartement et je suis ébahie de voir les efforts qu'ils ont fait pour tout installer rapidement.

_ Alors, ça te convient ?

Je regarde Paul et je hoche la tête. J'avance et je constate qu'ils ont fini de tout ranger dans le salon et la cuisine. Sans avoir eu besoin de le formuler, tout est comme je l'avais imaginé. Je soupçonne ma mère d'avoir bien aiguillé mes frères. Elle a toujours eu un goût prononcé pour la décoration. Il suffit de regarder leur maison pour le comprendre. On se croirait dans un magazine. Je la regarde me scruter, m'épier et je me demande à quoi elle pense. Ses yeux croisent les miens.

_ Mais tu as pleuré. Qu'est ce qui s'est passé ? C'est Xavier ?

Je fixe Paul et je le somme silencieusement de me sortir de ce mauvais pas. Il vole tout de suite à mon secours.

_ Encore heureux que le logement te plaise sinon je pense que ton agent immobilier va frôler le burn-out.

_ Oh, ça va, je n'ai pas été si casse pieds que ça avec lui.

_ Hum, pas sûr, sœurette. Tu avais des exigences bien particulières pour une ville aussi prisée et avec aussi peu de locations disponibles. Je cite : "un appartement, pas une maison avec une chambre, un balcon ou une terrasse et si possible une piscine. Pas de rez-de-chaussée et avec un ascenseur". J'ai bien cru que le pauvre homme allait faire une syncope.

Tout le monde se marre, y compris moi. J'espère juste ne pas avoir une voix si haut perchée, c'est insupportable à entendre.

En balayant la pièce, je constate qu'il manque mon autre frère. Comment ai-je pu passer à côté de son absence ? Le calme qu'il régnait aurait dû me mettre la puce à l'oreille.

_ Où est Alexis ?

_ Tu remarques juste qu'il n'est pas là ? Tu es une soeur indigne. Je me ferai un plaisir de lui dire quand il reviendra les bras chargés de pizzas pour ne pas que tu aies à cuisiner ce soir.

_ Paul arrête d'embêter ta soeur !

Cette remarque nous fait rire car elle nous fait replonger en enfance. Alexis et Paul se sont souvent fait disputer à cause de moi. Pour ma décharge, ils passaient leur temps à m'embêter. Pour compenser la différence de taille et d'âge, je hurlais. Je n'avais que ce moyen de défense face à ces deux grands gaillards. Aujourd'hui, ils m'offrent leur soutien sans faille. 

Un pas après l'autre (reecriture) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant