De biens heureuses retrouvailles

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L'horloge du petit clocher sonnait vingt et une heure tandis que je tournais au coin de la rue du Château, aux trottoirs enneigés et seulement éclairés par quelques rares réverbères

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L'horloge du petit clocher sonnait vingt et une heure tandis que je tournais au coin de la rue du Château, aux trottoirs enneigés et seulement éclairés par quelques rares réverbères. J'avais l'impression constante qu'une vie s'était écoulée depuis mon départ, mais en dix ans rien n'avait changé. J'étais seul. Mes pas crissaient dans la neige, et foulée après foulée un sentiment de doute m'envahissait peu à peu. Etait-ce seulement le bon moment ? Aurais-je dû faire demi-tour pour ne plus jamais refaire surface ? Je chassai bien vite cette idée de mon esprit vagabond, croyant bien que je n'avais pas parcouru trois mille kilomètres pour renoncer dans les cents derniers mètres.

Arrivant au pied du perron, je repris confiance en m'imaginant devant une bonne soupe chaude et l'accueil chaleureux que j'espérais recevoir depuis une éternité. La petite fenêtre de la cuisine était éclairée. En frappant à la lourde porte de marronnier, je songeais soudain que mon accoutrement miteux et ma barbe broussailleuse pourraient, au premier abord, effrayer ma bien-aimée. Ma pensée s'estompa lorsque la porte s'ouvrit. Je n'étais malheureusement pas préparé à ce que je vis là. Un enfant. Un mioche au regard malicieux et aux cheveux bouclés m'observait.

"Qui es-tu, monsieur ?", m'adressa t-il en souriant. Je ne savais que répondre? A vrai dire, je n'étais plus personne.

"Je suis un revenant", lui répondis-je non sans une certaine amertume au fond de la gorge. Lui me fixait, moi je n'osais même pas le regarder. Ce môme avait tout au plus une dizaine d'année...

"Mère! Mère!, vociféra t-il, un monsieur dit qu'il est revenu!"

Une grande dame aux cheveux d'or apparue dans l'encadrement de la porte, dévoilant une maison plus luxueuse que dans mes souvenirs.

"-Rose! lâchais-je de soulagement, j'ai tant rêvé de ce moment, laisse-moi t'embrasser!"

J'allais pour l'étreindre mais je fus surpris qu'elle me repoussa.

"Qui êtes vous monsieur, pour prétendre me connaître et oser votre geste ?", dit-elle froidement. Ce propos me fit l'effet d'une douche glacée coulant en torrent le long de mon échine. Une seconde fois, je restai muet.

"Puisque que vous ne daigner pas me répondre, je vous demande de sortir de ma demeure!", s'exclama t-elle une pointe de colère dans la voix.

- Mais c'est moi, Chabert! Rose ne me reconnais-tu donc pas ? On me croit mort, mais voilà que depuis une décennie je gravis montagnes et dunes enneigées de Russie, contre vents et marées pour te retrouver!"

Elle baissa les yeux. Même à l'agonie j'aurais deviné entre mille visages l'émotion qui traversa celui de ma femme à cet instant. Et soudain je compris tout. Elle cachait bien son jeu, mais la lueur au fond de ses pupilles azur trahissait sa honte. Elle avait refait sa vie, dépensé mes économies dans le luxe du salon et même eu un enfant.

Ce que je redoutais le plus se produisit.

"Ma mie? Je vous entends hausser la voix, qui est là ? s'inquiétait une voix masculine venant du séjour.

-Oh, simplement un sans-abri qui mendie un peu de pain et de vin chaque porte de la rue, lâcha t-elle sans bouger un cil.

-Soyons généreux, donnons lui ce qu'il demande voulez-vous ?" répondit la voix.

Presque à contre-coeur, elle s'en alla dans la cuisine et revint avec un quignon de pain et une bouteille de vieux pinard. Elle me tendit les vivres. Je les pris en tremblant.

La porte se referma lourdement devant moi, penaud. Je m'assis sur les marches, humilié. Mais j'aurais juré avoir entendu des pleurs étouffés résonnant dans mon ancienne vie.

Liloounette


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⏰ Last updated: Oct 03, 2016 ⏰

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Le colonel Chabert, BALZACWhere stories live. Discover now