UN | LE RÉVEIL

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NYCTALOPES
CHAPITRE PREMIER

Je pense qu'on a tous des fantômes

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Je pense qu'on a tous des fantômes. On en est jamais certain, mais d'une manière ou d'une autre, nous ne sommes jamais seuls. Il y a toujours une présence à nos côtés, qui murmure les brises et qui bruisse dans les feuilles. C'est eux. Ils se cramponnent aux vivants, en espérant y retrouver des mémoires de leur vie d'humain.

J'en ai trois, je crois. Avec le temps, j'ai un peu oublié de qui il s'agissait, et peut-être que c'est mieux comme ça. Des fois je les sens se glisser à côté de moi, et ils passent leur main froide sur mon visage de porcelaine. On ne peut pas les attraper : ils sont plus libres que tout. Ils sont sourds et muets à la fois, mais dans leur monde silencieux, ils ont des prunelles qui voient tout. Ça leur suffit.

Ce matin, j'ai eu l'impression que mes fantômes étaient partis. Les yeux ouverts sur le plafond qui s'étend au-dessus de moi, j'ai les pensées fougueuses, qui tournent en rond pour n'arriver nulle part. Je plonge mes doigts dans les draps miteux qui ont abrité ma nuit. Comme d'habitude, elle n'a pas été calme, et les images de mon passé ont encore défiguré mon sommeil. Mes mèches sont éparpillées autour de moi. Certaines me passent sous la nuque, sur le cou, elles m'étranglent. Mais je ne bouge pas, et mes pupilles se perdent dans les tâches sombres qui flottent au-dessus de ma tête. L'air est lourd, comme s'il portait le poids du silence. J'ai l'impression d'entendre mon sang battre dans mes veines, et n'en pouvant plus, je me redresse. Je respire lentement, et fait passer mes pieds nus par-dessus mon matelas, pour qu'ils pendent dans le vide. Mon lit est un mètre au-dessus du sol, et même si ce n'est qu'un minime détail, je l'aime bien. Sans faire attention à la petite échelle, je dégringole, et atterrit sur un parterre recouvert de papier journaux. Je n'ai pas de tapis, et comme nous sommes encore en hiver, le carrelage est froid. Ce n'est pas très beau, mais c'est mieux que de se geler les orteils. Mes murs sont recouverts de papier. D'enveloppes, de crépons de couleur, de pages, de couvertures. Des bribes de matières douces, que j'ai accumulées depuis tous ces mois. Quand je pars explorer, il faut que je ramène un souvenir. Ça va faire bientôt une demi-année que j'habite ici.

J'enfile un pull, et m'approche de la petite lucarne ancrée dans le mur. Elle est ronde, et je passe mes doigts à sa surface d'aluminium, avant d'agripper la poignée pour la tourner sur la gauche. Le déclic d'une serrure qui s'ouvre résonne dans mes oreilles, et je tire lentement la petite vitre vers moi. Le froid entre sans invitation, me mord la peau. Il me fait grelotter, et mon corps se crispe alors qu'il rampe peu à peu dans la pièce. Je pose mes coudes sur son rebord, mes yeux s'habituent durement au paysage flou qui s'étale devant moi. Je dors au deuxième étage d'une maison très étroite. Par moment, je me faufile sur mon toit, et domine les lieux, ATHÉNA. C'est le nom qu'ils ont donné à ce campement.

Des murs s'élèvent aux frontières. Des façades en tôles et en béton, soutenues par d'épaisses poutres de métal. Des barbelés s'emmêlent juste au-dessus, et la rouille s'étale sur leurs surfaces, à certains endroits, comme des coups de pinceaux marrons sur la toile sombre d'un peintre. Le sommet du mur est souvent relié par une échelle rouillée, et lorsqu'on monte dessus, on a tendance à ne pas trop faire confiance à ses barreaux fins. Des plateformes fleurissent à certains endroits, construites en planches de bois de toute sorte. Certaines sont vernies, d'autres recouvertes d'une couche de peinture écaillée. Toutes sont faites de matériaux de récupération, et les voir collées les unes aux autres donne l'illusion d'une véritable œuvre d'art.

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