LE PETIT RENARDEAU ET L'ABYSSIN

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A la fin du printemps de ma vie, alors que le soleil aurait dû poindre de mille feux, j'étais triste et froide comme un vieux dimanche d'hiver qui refuse de se terminer. Pourtant, un jour où l'on ne s'y attend pas, une chaleur nous envahit et le temps défile à nouveau.

L'abus de solitude est dangereux pour la santé. Seule, je laisse souvent entrer en scène un violoniste vert, un cirque, des tigres, des anges! Mon esprit se pare de bleu,de jaune, de rouge, un chant d'amour se glisse délicatement de peinture en peinture dans ma tête et je me plais à laisser apparaître un âne danseur, un coq bien surprenant, des maisons à l'envers. Ah Chagall ! Si j'avais eu l'occasion de te rencontrer pour te dire combien de fois tu m'as sauvé la vie.

C'est un lundi que j'ai rencontré Noémie, un lundi sous la pluie. Dans le collège où nous étions élèves, nous remplissions des portraits chinois.

Je m'appelle Noémie, me dit-elle, si j'étais un animal je serai un renard car je suis rousse comme un renard.

Un renard, pensais-je, c'est beau un renard et cela lui va bien.

Les mois passèrent, tristes, jusqu'à ce que naisse une fable, celle que je vais vous raconter.

Toujours j'ai eu le sentiment de vivre dans un songe qui me sauvait de ma réalité. Un jour, poussée par une force invisible que l'on ignore même parfois, nous nous sommes envolées.

Un jour, le petit renardeau qu'elle était (car elle était encore trop jeune pour être un renard) vint à la rencontre de l'animal qui vivait en moi. Il se trouva que c'était un chat, un chat qui dormait encore. Mais pas n'importe quel chat, un chat alerte et fin: un abyssin.

Ensemble, ils commencèrent à voyager à travers les mots d'abord, les images ensuite.


Un petit renardeau et un abyssin peuvent voyager ensemble, non? Oui, oui, ils le peuvent.

Pour cela, ils conçurent un bateau volant de pirates.

Larguez les amarres moussaillon !

Bien sûr, ils donnèrent un nom à ce bateau. La Nature Rouge, voilà quel fut le nom de leur bateau volant de pirates.

Quand certains jours étaient plus sombres que d'autres, le petit abyssin qui vivait en moi retrouvait un instant le petit renardeau qui vivait en elle.

Ensemble sur La Nature Rouge, nous mettions le cap sur une destination qui nous attirait follement. Sans nous en rendre compte, nous avions déjà commencé une longue partie de notre voyage, car, un matin qui ne sonna pas comme un autre, nous avons décidé de partir et cette fois-ci, nous avons laissé sur le port La Nature Rouge pour découvrir d'autres horizons, dans notre réalité.

Ce matin-là, nous avons fait nos valises et nous nous sommes retrouvées à l'aéroport.

Nous avions tellement parcouru de route sur notre bateau imaginaire que nous n'étions pas affolées le moins du monde. Nous étions irrésistiblement poussées à aller de l'avant, plus rien ne pouvait désormais nous arrêter, comme dans un rêve qui se tisse.

Où va-t-on alors? En Irlande. L'Irlande, c'est parfait.

De toute évidence, maintenant que nous l'avons fait une fois, nous pourrons recommencer, partout ailleurs. Nous partîmes donc pour l'Irlande en survolant les nuages comme hier encore.

Là-bas, au milieu des terres vertes, nous nous sentions infiniment petites, entourées d'immenses tapis flottants et pourtant si infiniment grandies par notre exploit.

Du haut des plaines, on oserait croire que le ciel clair se plonge inéluctablement dans la mer envoûtante comme un oiseau de proie. La mer aux belles boucles, elle, le matin épouse des flots céruléens et le soir les tronquent pour retrouver son amant, le bleu d'Alexandrie. Elle nous charmait nous aussi avec ses mirages, ses chants harmonieux qui nous laissaient croire à l'infini. Elle nous portait aux yeux un breuvage, nous confondait pour mieux nous métamorphoser. Pour la deuxième fois de notre vie, après l'Age d'or de notre enfance, nous nous sommes senties immortelles et nous pesions la chance que nous avions de pouvoir la goûter, cette immortalité.

Irlande! Vaste île d'espérance,gigantesque tortue des mers où à la manière des fourmis, nous avons erré sur ton dos, en minuscules parasites que nous étions, en portant notre histoire, nos pensées, nos fardeaux.

Sur ta carapace cyclopéenne, sur la tourbe où maintenant paissent en paix les moutons, nous avons découvert ton trésor. Près des troupeaux qui attendaient l'heure de la tonte, une cloche a retenti.

A la manière des Argonautes, nous avons voulu nous emparer de ta toison dont tu te pares comme d'un collier d'émeraude. Nous nous sommes enfouies dedans, l'avons humée,mais tu ne la dissimules que trop bien. Elle est à toi, rien qu'à toi et pas même Jason n'aurait pu te la dérober.

Chaque jour, immergés dans un cercle de verdure, le petit renardeau et l'abyssin firent des rencontres. Un matin, ils s'éprirent d'amitié avec un bélier à la tête noire d'ébène, armé furieusement de ses deux cornes en spirale semblables à de l'ivoire. Il était, dit-on, l'orgueil de sa vallée.

Un midi, ils furent guidés par un vieux loup de mer aux regards perçants qui les guida jusqu'à un pub où musique et chaleur les rendirent des plus enthousiastes.

Un après-midi, choyés au milieu de glycines semblables à des saphirs en grappe et de talus drapés de cascade de fleurs, ils disparurent dans le décor, happés puis fondus.

Une autre fois encore, ils crurent entendre des fées dans une forêt.

Quand nous rentrâmes, nous n'étions plus les mêmes. Nous avions été métamorphosées et même si nous ne savions pas quand nous allions recommencer, une chose était sûre. Le petit renardeau et l'abyssin depuis longtemps s'étaient apprivoisés.






Le petit renardeau et l'abyssinWhere stories live. Discover now