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Contrairement à ce qu'il craignait, le PDG n'explosa pas de colère. Il y avait même un soupçon de bienveillance dans sa voix quand il lui assura que les choses ne pourraient qu'aller mieux.

- Euh, Monsieur, y aurait-il du nouveau ? s'enquit prudemment Sybillus.

- Perspicace, hein ? Oui, du nouveau. Le dernier bastion... dit le président en essayant d'être le plus précis possible. Et il l'était, Sybillus avait comprit immédiatement.

- Le bastion asiatique est tombé, Monsieur ?

- Oui, le Japon. Capitulation depuis cinq heures. Info confidentielle, hautement.

Sybillus sourit pour la première fois de la journée. De toutes les viandes, il y en avait une pour laquelle tout le monde était prêt à trahir l'Archipel, à tuer, c'était la viande niponne. Moins forte en goût que l'Africaine, plus parfumée que l'Européenne, moins grasse que l'Américaine, elle avait des aromes de plantes et de fruits de mer et était facile à assaisonner. Rien ne vaut la chair d'un Japonais à la fleur de l'âge ; entre vingt et trente ans pour les mâles et juste après la ménopause pour les femelles. Maintenant que la muraille asiatique étaie tombée, d'immenses boulevards s'ouvraient pour les affaires. Sybillus songeait déjà aux moyens de créer un label pour la viande niponne. Dès qu'il serait autorisé à le faire, il en soufflerait un mot au département marketing de la compagnie. Les pots de conserves n'étaient pas à exclure. Les sandwiches non-plus : une baguette au son de blé avec des lamelles de viande fines comme des carpaccios, ce ne pourrait que plaire. Il fallait songer aussi à se faire construire de nouveaux camps d'élevage humain et surtout aux diverses possibilités de croisement d'espèces. Un métis bien assaisonné, ça ne se refusait pas. La tendresse de la viande japonaise se marierait à merveille avec le goût fort en bouche de la viande camerounaise ou épicée de la viande indienne.

- Songer aux possibilités, lui dit le PDG. Croisements et autres...

- Je suis déjà en train d'y songer, Monsieur le directeur, dit Sybillus.

- Appel dans trois jours pour nouvelles...

- Merci monsieur, c'était un plaisir d'apprendre toutes ces bonnes nouvelles. Alors à dans trois jours monsieur.

- 'Soirée.

- Bonne soirée à vous aussi monsieur.

Quand Sybillus raccrocha, il se sentit affamé. Il marcha d'un pas trainant vers la salle à manger. Il était dix-neuf heures, le repas du soir devait déjà être sur la table. Bien avant d'accéder au seuil de la salle, une odeur de ragoût de la viande du label « berger des montagnes » lui titilla le nez. De cette viande venue directement des montagnes suisses, Sybillus ne se lassait jamais. Elle avait un goût de fromage et d'alpages et une couleur écarlate qui faisait penser au drapeau de ce fier pays d'Europe. Une fermière suisse dans les assiettes, c'était coûteux mais surtout goûteux.

Les steaks de cuisses humaines venus des pays nordiques dont il s'était régalé à midi allaient vite être oubliés avec le souper qui l'attendait.

A l'instar de tous les êtres de son espèce, conquérants venus d'ailleurs asservir les autochtones terriens, Sybillus pouvait se délecter de l'ivresse du pouvoir. Quoi de plus grisant que de tuer une espèce inférieure, peu importe qu'elle vous soit antérieure ou pas, pour la mettre dans son assiette avec le goût pour seule finalité.

Sybillus n'était plus triste, les affaires allaient pouvoir repartir.

La Compagnie V.Where stories live. Discover now