Emory, roman édité, trois chapitres disponibles

Chapitre 2. La préparation.

Kyle.

Sky considéra le plat de pâtes à la carbonara que je venais de déposer sur la table, face à elle. Puis elle m'observa et je lui offris le sourire le plus professionnel qui soit. Elle plissa les yeux, l'air soupçonneux. Elle prit sa fourchette et la pointa vers moi.

- Oh, Kyle, soupira-t-elle. Tu te contrôles toujours aussi admirablement. Mais je sais que tu as quelque chose à annoncer dès que tu fais l'effort de cuisiner, et de me faire ta spécialité. Alors crache le morceau.

J'accentuai mon sourire, avant de la servir, de remplir ma propre assiette et de m'asseoir. Je lui fis signe de manger et je reçus un regard meurtrier en guise de réponse. Mais elle prit une bouchée. Une autre.

- Heath Drakefort et Emory Downing, lâchai-je. Voilà la raison de ce repas.

Je relatai la visite d'Heath, comment il m'avait trouvé et ce qu'il m'avait raconté sur l'enfermement d'Emory, ainsi que les témoignages récoltés sur le centre James Gordon. Je précisai que je m'étais renseigné de mon côté et que mes investigations avaient confirmé les dires du jeune homme. J'avais approché des journalistes bossant sur des sites LGBT locaux, ainsi que les proches d'anciens patients. Ces gens s'étaient renfermés ou avaient exprimé un enthousiasme douteux. Je n'avais rien fait d'aussi direct qu'Heath afin que personne n'établisse de lien entre nous, mais j'avais obtenu les mêmes résultats.

- Alors tu repars sous couverture, pour sortir ce jeune gay, Emory, de ce centre de l'enfer, avant qu'il le transforme en zombie pseudo-hétéro, déduisit Sky.

- Je ne peux tout simplement pas faire comme si les traitements infligés aux homos dans cet endroit n'existaient pas, déclarai-je.

- Je comprends, Kyle, dit-elle sans s'énerver. Mais tu la rejoues infiltré.

- Avec une différence de taille, soulignai-je. Essentielle. Je bosserai seul. Aucune crainte d'être trahi. Aucune autre crainte que mes propres erreurs. Et il n'y en aura pas.

- Carla m'avait bien dit que Heath était préoccupé, reprit-elle. Je n'imaginais pas un truc aussi abominable. Je réalise les enjeux. Et ça me rassure que tu gères seul avec Heath. Mais tu te remets en danger, me reprocha-t-elle. Et ceux qui soutiennent ce centre semblent avoir de quoi faire taire les gêneurs. L'argent.

- Je ne serai pas démasqué, Sky, lui affirmai-je, en lui prenant la main et en serrant ses doigts. Désormais, tu as aussi un énorme avantage par rapport à l'époque où j'étais au FBI. Tu sais où je me trouverai les prochaines semaines. Je t'appellerai chaque jour sans faute. Si tu ne reçois pas mon coup de fil, tu préviens les flics.

- Et tu crois que les friqués homophobes n'auront pas le dernier mot ? rétorqua-t-elle. Écoute-moi bien, Kyle Emerson. Tu as intérêt à ce que tout se passe bien.

- Promis, chef.

- Oh, ça va, hein ! protesta-t-elle, avant de me menacer de sa fourchette, tandis que je lisais une inquiétude toute légitime dans ses prunelles grises.

Heath.

Il faisait encore chaud, en ce mois d'octobre, alors que je quittais LA pour Malibu au volant de mon SUV. Kyle Emerson m'avait rappelé et fixé un rendez-vous chez lui pour dix-sept heures. Il avait donc trouvé de quoi me croire. Je m'étais senti comme dans un étau jusqu'à ce que son coup de fil me libère. Mon père était à son brunch du dimanche, avec ses amis du club, et ça se prolongerait tard, comme à l'ordinaire.

La vitesse fouettait mon bras nu, posé sur le rebord de la fenêtre ouverte. Après, ma peau sentirait le soleil et le vent. Puis l'iode, à Malibu. L'odeur de l'espoir. Des possibilités. D'envisager le retour d'Emory auprès de moi, dans une nouvelle vie, ailleurs. Loin de nos familles. Prévoir, ça me rassurait. Ça mettait un peu de douceur sur la fissure béante créée quand on me l'avait arraché.