Secret d'une Rouée [En Pause]

Fragment 14

Lettre de Meusnier au Prince de Conti

Au Châtelet, le 4 février 1757

Monseigneur,

Nous avions convenu de ne vous tenir informé que du strict nécessaire et de ne pas coucher cette sorte de détail par écrit, mais je ressens comme un besoin certain d'éclaircissement.

Tout d'abord, je tiens de source sûre que votre cousin le Roi est toujours sous le choc et dans le plus grand questionnement - ce qui était l'intention initiale. Mais Sa Majesté a été on ne peut plus claire sur un point: elle ne veut pas croire en l'oeuvre d'une cabale, estime qu'aucune action de police ne doit encourager une telle rumeur et a ordonné que le clergé soit épargné par l'enquête.

Nous avons bien entendu laissé trainer quelques langues stipendiées dans les cercles les plus en vue afin qu'elles maintiennent la saine méfiance envers le Jésuite et l'Anglais, mais rien de plus que d'habitude. Il eut été malvenu d'ignorer un ordre direct de Sa Majesté, même par des actions discrètes.

En ce qui concerne la famille de Damiens, mes collègues, mais également le Lieutenant Général lui-même, ont besogné jour et nuit pour recueillir leur dépositions. Tout cela a produit un corpus conséquent, encore en cours de relecture et d'analyse. Bien qu'ébranlés par la procédure, ces pauvres gens ont été remarquables de courage et n'ont rien avoué. Je les ai fait transférer ce jour à la Conciergerie pour éviter que des questions plus approfondies ne finissent de les briser. Ils seront dorénavant directement sous ma surveillance et hors de danger jusqu'à leur expulsion du royaume.

J'ai depuis fait embastiller une quinzaine de particuliers (imprimeurs, agitateurs divers, protestants supposés, philosophes anglophiles et autres clients trop bavards chez Procope) afin de garder collègues et supérieur occupés pour les semaines à venir. Certains de ces suspects ont même été identifiés grâce aux dénonciations spontanées de bons sujet de Sa Majesté! Il est toujours plaisant de voir combien les Français sont prêts à calomnier des inconnus quand il s'agit de débusquer un mystérieux ennemi intérieur.

Enfin, et c'est surtout le plus important, je vous rappelle que Damiens est, comme promis, d'une instabilité jubilatoire. Cette tare était un des critères de sélection pour sa tâche, mais elle a aussi un coût: l'incertitude. Il revire constamment sur la question d'éventuelles complicités et sur la possibilité d'une deuxième tentative, visant le Dauphin cette fois. Plus il continuera de divaguer, plus vous serez sans doute dans une gêne momentanée, mais moins il sera crédible et moins l'enquête risque de remonter à sa source.

Oserais-je vous rappeler que j'ai tout mis en ordre pour tempérer cette instabilité? Je vous confirme que mes meilleurs hommes étaient là: plusieurs gardes dont le héros du jour lui-même, Truche de la Chaux, qui a arrêté Damiens. Mais la foule contenait aussi son lot de mouches et d'exempts, dont Buhot, l'homme que vous avez arrêté et qu'il aurait été judicieux de me remettre au lieu d'impliquer mon supérieur.

Et surtout, oserais-je vous rappeler que, comme vous l'aviez demandé, j'étais moi-même présent pour m'assurer du déclenchement de l'opération? Sous un lourd grimage certes, mais en désaccord complet avec les règles de la prudence la plus élémentaire dans ce genre de situations, ce qui ne devrait laisser que peu de doute quant à mon dévouement et mon esprit de sacrifice dans cette entreprise.

Le temps du procès viendra, Monseigneur, et je ne ménage pas mes efforts pour fournir à l'instruction une qualité d'enquête irréprochable. J'espère que la voix du plus grand des princes du sang retentira haut et fort pour assurer les juges de la pertinence des éléments que nous leur fourniront.

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Lettre du Prince de Conti à Jeanne-Antoinette Le Normant d'Etiolles, Marquise de Pompadour

Au Temple, le 5 février 1757

Madame,

Si j'en crois mes sources, le travail vous a donné entière satisfaction. Je n'en suis pas mécontent moi-même: le rappel de Louis à sa réalité matérielle ne manquait pas de piquant.

Pardonnez ma franchise mais je commence à développer certains doutes sur la capacité qu'à monsieur Meusnier de clore cette affaire sans que nos noms n'y soient un jour ou l'autre évoqués. Devrions-nous penser à le faire disparaître?

Etant sans doute plus habitué que vous à ce genre de solutions physiques, j'espère que vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que je prenne l'initiative pour mener l'affaire à son terme. [fragment 16]

Meusnier étant issu de vos références, et m'étant déjà trop impliqué à mon goût dans les détails matériels, je m'en remets à votre jugement et vous laisse la main. [fragment 17]