Une Décennie Canadienne

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Nous sommes arrivés à Montréal le 11 juin 2001, en provenance de Paris, via Londres pour une vague question, idiote, de coût du billet d'avion. Nous découvrions pour la deuxième fois cet immense pays qu'est le Canada. Cette fois-ci, nos sacs à dos contenaient toutes nos vies, et rien d'autre.

Nous avions auparavant liquidé, vendu, bazardé, donné, jeté tout ce surplus de matériel, de cochonneries, de babioles, de faux souvenirs, que l'on accumule dans nos appartements, même les plus exigus, jusqu'à ne plus savoir qu'on les a. Et notre appartement était petit, tout petit, même s'il était très bien situé au bout de la rue des Écoles, rue d'Arras, tout près de l'université Jussieu, au cœur du 5e arrondissement de Paris. À peine 33 m2, quatre pièces en comptant cuisine et salle de bain, chambre et salon. Quatrième étage sans ascenseur, au fond d'une cour sombre jonchée de merdes de pigeons – les colombidés nous surveillant du haut des rebords de toit afin de mieux nous viser, au point qu'il fallait parfois courir pour éviter de se prendre une déjection au vol – escalier très étroit et craquant, fenêtres en mauvais état et douche grande comme un évier de cuisine.

Typiquement parisien, cet appartement, et pour lequel nous nous étions battus en courant après la loueuse trois années auparavant, en lui disant que oui, nous le prenions immédiatement, et en voyant revenir au bout de la rue le jeune couple avec lequel nous avions visité et qui avait eu la même idée de ne pas perdre de temps. Trop tard, il était à nous et nous étions fiers. S'ensuivirent quelques années de vie parisienne « rive gauche », petits restaurants japonais rue Monsieur le Prince, cinémas inconfortables à Odéon, balades dans le jardin du Luxembourg, bars à vins dans des petites rues bien cachées près des quais derrière Notre-Dame, visites des nombreuses librairies du quartier, cafés sur les terrasses, et surtout travail dans une, puis deux, startups web.

La première, un portail étudiant que nous contribuions à monter et qui fut finalement la première « startdown » de la place parisienne, Stoody. Une aventure qui dura six mois pour ma part en tant que chef de projet web, puisqu'entre temps, j'avais monté ma boite ; un peu plus d'un an pour Stéphanie, qui avait créé un département de recherche et d'études sur les étudiants au sein de la société.

La deuxième startup, dans laquelle Stéphanie me rejoignit à l'été 2000, était notre boite à tous les deux. Nous passions de longues heures, trop longues, à monter notre business, et à chercher des gros financements qui ne sont jamais venus. Il s'agissait d'une entreprise de vente de matériel de voyage et de plein air, sur le web, à l'instar du Vieux Campeur qui n'avait jamais voulu se lancer dans le e-commerce. Après avoir monté le site et commencé à le remplir de listes de produits spécialisés, les ventes avaient décollé grâce à son arrivée à la direction générale et au marketing. Je n'étais pas fait pour générer de l'argent, j'étais juste un gars d'idées, de projets, capable de les lancer, mais avec l'incapacité de me soucier d'argent. Un vrai problème pour moi, mais j'avais su m'entourer pour pallier à ça.

Il s'ensuivit une période durant laquelle Stéphanie et moi vivions, mangions, dormions – peu – et ne parlions que de notre startup. Exclusivement. Debout à huit heures chaque matin, du lundi au dimanche, nous regardions l'état des commandes de la nuit, travaillions la journée longue et sortions finalement de moins en moins. Elle se couchait vers minuit tandis que je continuais jusqu'à deux ou trois heures du matin. Et c'était reparti le lendemain. Pendant un an et demi. Une vie de fous.

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Le Canada n'était pas une lubie arrivée comme un cheveu sur la soupe. Nous en parlions tous deux depuis longtemps et nous avions même effectué un premier voyage exploratoire en 1999. Nous avions alors découvert Montréal, l'accent impossible de certains Montréalais, dont le chauffeur du taxi de l'aéroport qui ne comprenait pas que nous souhaitions aller à la « mairie » et qui nous déposa à « Berri », au beau milieu de la ville, sans que nous ne sachions où nous étions arrivés. Notre auberge de jeunesse se trouvait dans le vieux Montréal, au bord du fleuve, rue Saint-Pierre, loin de la mairie, c'est-à-dire en réalité « l'hôtel de ville ». Le métro étant toujours compliqué à saisir quand on arrive dans une ville et ne sachant pas que nous étions proches de la station « Berri » – le temps que nous réalisions où nous nous trouvions – nous avions fait une partie du chemin à pieds sous la belle et surprenante, écrasante, chaleur du mois de mai.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 25, 2016 ⏰

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