Chapitre 14: Alicia.

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Rebecca et moi repartons aujourd'hui. Mon dos me fait encore souffrir, mais je peux marcher. Nous pensons arriver chez moi d'ici une semaine environ.

-Ça fait combien de temps que l'on est partit? demandai-je à Rebecca, tout en préparant mes affaires.

-Trois mois à peu près, on doit être en février.

Elle est redevenue froide, comme avant. J'ai même l'impression d'avoir rêvé, lorsqu'elle m'avait dit qu'elle commençait à m'apprécier. Elle envoie souvent des lettres, je ne sais pas à qui, elle ne veut rien me dire. Je pense que c'est pour Emma, sa soeur; pourtant, je pense qu'elle me cache des choses. Elle s'absente de plus en plus, envoie des lettres presque tout les jours.

Nous préparons nos juments, puis partons. Le temps est pluvieux en ce moment, et nous n'avons pas vraiment les vêtements adaptés. Je suis mouillée de la tête aux pieds, les gouttes dégoulinent sur mon visage. Je frissonne lorsque je sens un filet d'eau couler dans mon dos. Quelques heures plus tard, nous nous arrêtons pour manger. Rebecca me laisse prendre beaucoup plus de nourriture qu'au début; je me sens donc moins faible.

Nous arrivons bientôt chez moi, je revois les paysages que j'ai connu. Nous sommes passés près du château de Rose; je me suis rappelée tant de souvenirs. La vie était tellement plus simple, j'aimais Justin, même si je ne pouvais pas le toucher. Les ennuis sont arrivés après avoir retrouvé les colliers; je le touche par réflexe.

Rebecca me laissera seule chez ma famille pendant quelques temps. Elle doit rejoindre sa mère à Tavullia, qui est plus au sud. Je pense que je resterais dans la forêt, je ne veux pas apporter d'ennuis à mes parents; les custodias vérifient les domiciles fréquemment.

Nous sommes pour l'instant dans la forêt. Nous attendons la nuit; Rebecca, pour repartir en direction de Tavullia, et moi, pour rejoindre ma famille. Les minutes me paraissent durer des heures, je tourne en rond tellement je suis pressée. Rebecca écrit encore une lettre, elle parait vraiment préoccupée.

Lorsque la nuit est tombée, nous réunissons nos affaires. Il doit être environ vingt-trois heures.

-Tiens, me dit Rebecca en me tendant son collier.

-Pourquoi veux tu que je le prenne?

-Il ne me servira à rien, ma mère est une sorcière du feu, je pourrais la toucher normalement. Tu acceptes de le prendre?

-Bien sûre, répondis-je, même si je ne comprends pas vraiment pourquoi elle ne veux pas le prendre avec elle.

Je prends son collier dans mes mains, puis elle part; en me saluant une dernière fois d'un hochement de tête. Une fois que sa silhouette a disparue dans la pénombre, je prends la direction de ma maison. Je marche vite, pressée d'arriver.

Quand je suis sur le seuil de la porte, je ne sais plus quoi faire. J'hésite à frapper, ma main reste en suspension dans les airs. J'ai peur que mes parents me ferment la porte au nez, qu'ils me repoussent. Je ferme les yeux, inspire profondément. J'approche mon poing fermé de la porte, puis frappe quatre coups. J'entends des pas précipités, une lumière s'allume dans le hall d'entré. La porte s'ouvre, laissant place à ma mère. Elle plaque sa main sur sa bouche lorsqu'elle me voit, les yeux écarquillés.

-Ma fille...

Elle me prend dans ses bras et me serre si fort qu'elle m'étrangle. Elle sanglote à mon oreille sans aucune retenue, chuchote des mots que je ne comprends pas.

-Que s'est-il passé? Où est Suzie?

-Maman... Suzie s'est fait tuer par les custodias.

-Quoi?! Ce n'est pas possible, non! dit-elle les larmes coulant de plus belle.

-Je suis désolée...

-Ma chérie, viens, il ne faut pas que les lumières restent allumées; par les temps qui courent, il faut être prudent.

Elle m'entraîne dans la cuisine, puis allume quelques bougies. Je m'assois sur l'une des huit chaises.

-Je n'arrive pas à croire que tu sois là. J'ai tellement espéré... J'ai prié tout les jours pour que tu sois en vie. J'ai voulu t'envoyer des lettres, mais la plupart sont contrôlées. De plus, j'avais peur que ça te mette en danger. Oh ma fille... Je suis si heureuse que tu sois là, tu vas rester, n'est ce pas? me demande-t-elle pleine d'espoir.

-Non, je ne peux pas. Je me suis fais tatouer le croissant de lune sur la nuque, les custodias me tuerons si je reste là.

-Alicia, nous ne pouvons pas vivre sans toi, tu es ma fille. Ces derniers mois ont été un cauchemar, me confie-t-elle, la voix chevrotante.

-Je sais maman, je suis désolée. Il va falloir que je reparte. Je vais rester ici pendant quelques jours, plusieurs semaines peut-être, tentai-je de la rassurer.

-Mais tu pourras te cacher dans la forêt, on te construira une maison. Qu'est ce qui t'oblige à repartir?

-Si je suis parti, c'était pour une raison précise. Je suis tombée amoureuse d'un sorcier du feu, lui annonçai-je en baissant la tête.

-Ma chérie... Je m'en doutais, mais l'entendre de ta bouche...

-Je l'ai rencontré au début des vacances d'été, et nous ne nous étions pas quittés depuis. Je ne sais pas si tu es au courant, mais nous ne pouvons pas toucher les sorciers du feu. Nous sommes donc allés dans les terres humaines, pour retrouver des colliers qui nous permettent de nous toucher.

-Je n'arrive pas à y croire...Tu l'aimes? m'interroge-t-elle, les yeux plissés.

-Oui, j'en suis certaine, avouai-je silencieusement.

-Alors tu vas le retrouver. Où vous cachez vous?

-En France, dans les Vosges. La vie est plutôt dur là-bas, mais on s'y fait.

-Il faut que tu dormes, tu verras les autres demain, m'ordonne-t-elle en souriant.

-D'accord, à demain. Je reviendrais, je te le promets.

-Oh mais tu ne vas pas repartir ce soir, jeune fille. Tu vas aller dans ta chambre, dans un vrai lit. C'est un ordre, ne discute pas, insiste-t-elle.

-Mais si les custodias viennent?

-Nous avions créés un endroit pour que tu te caches au cas ou tu revenais, me dit-elle, avec un sourire malicieux sur ses lèvres.

Je dépose un baiser sur sa joue, puis pars dans ma chambre. Je suis tellement heureuse de revenir ici. Je m'approche de mon piano. J'effleure doucement les touches blanches nacrées, un immense sourire aux lèvres. Je fais du piano depuis mes sept ans, j'ai appris seule, en essayant de reproduire les musiques que j'aimais. J'ai toujours été passionnée par la musique, c'est un art incroyable.

Je m'effondre sur mon lit, le bonheur! Cela faisait des mois que je n'avais pas dormis autrement que dans une tente. Je m'enroule confortablement dans les couettes douces et chaudes, puis m'endors immédiatement; sereine pour la première fois depuis bien longtemps.

Les Âmes rebelles, Livre IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant