ii - l'étoffe de l'univers

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La fourmi grimpe sur mon mollet, distillant de légers picotements dans la totalité de ma jambe. Je bouge cette dernière avec désinvolture afin d'en faire tomber l'insecte inopportun.

L'herbe est grasse et confortable, formant un tapis moelleux où je suis allongé avec délice. Les cigales chantent, comme à leur habitude, cachées dans les arbres dispersés dans la prairie. Cette douce mélodie nocturne me berce et je ferme les yeux, savourant la perfection de l'instant.

« Hé... »

Tiré de ma somnolence par ce murmure, je tourne légèrement la tête vers ma compagne.

« Quoi ? »

Elle aussi me regarde et ses boucles caramel effleurent son cou gracile lorsqu'elle fixe ses yeux onyx sur moi.

« Tu as regardé les étoiles ?

-Bien sûr, on est là depuis une demi-heure, j'ai eu largement le temps de les voir et...

-Non, non. », m'interrompt-elle en esquissant un sourire. « Je ne te demande pas si tu les as vues, mais si tu les as regardées. »

Je hausse un sourcil, perplexe.

« Enfin, c'est la même chose ! »

Sans cesser de sourire, elle secoue les tête.

« Absolument pas. »

Je ne réponds pas, je tourne juste le regard vers les étoiles, tâchant de les regarder. Pour elle, je peux bien faire cet effort.

Le ciel est désormais d'un noir profond. Les étoiles, elles, sont blanches, comme chaque nuit. Elles sont comme autant de petits diamants cousus dans une gigantesque étoffe de velours. Ou comme des éclaboussures de peinture claire sur une toile sombre. Certaines sont plus éclatantes que d'autres, et, j'ai beau savoir que ce ne sont en réalité que d'énormes boules de matière en fusion, j'ai de la peine pour celles qui brillent moins. Sont-elles nées ainsi, plus faibles que les autres, ou ont-elles été délavées par le temps, tel un jean usé que l'on a trop porté ?

En observant attentivement, je repère la constellation de la Grande Ours, la seule que je connaisse. Je fais rapidement la comparaison entre les étoiles qui la composent et des dizaines de petites cellules, formant la silhouette de cet imposant animal. Ces tâches brillantes me ramènent à un vieux conte de mon enfance, le Petit Poucet. Est-ce qu'un jeune garçon, perdu dans l'immensité de l'Univers, a un jour laissé des petits cailloux scintillants afin de retrouver son chemin ? Ou bien est-ce qu'une riche femme, rentrant d'un bal à la cour du roi, a brisé son collier, semant ainsi de sublimes petites perles à chaque pas ?

On a souvent dit que les étoiles étaient les représentations des belles personnes mortes héroïquement. Leurs âmes étaient alors lavées de tout péché, et, blanches comme du nacre, envoyées au ciel pour veiller sur les générations suivantes. Le chagrin me pince douloureusement le cœur lorsque je pense à ma mère, morte quelques mois auparavant. Me voit-elle - me regarde-t-elle de là-haut ?

Une amie, un jour, m'a raconté que toutes les étoiles étaient sœurs, et qu'au commencement de l'Univers elles étaient soudées en une seule grande étoile. Puis, à chaque fois que quelqu'un tuait un autre homme, leur immense famille se divisait. Combien d'hommes avait-on tué pour en arriver à ces milliards d'étoiles ? En pensant au nombre faramineux de meurtres que cela impliquait, mon pincement au cœur redouble d'intensité, et mes pensées s'emballent, galvanisées par la tristesse.

« Alors ? Qu'as-tu retenu de cette nuit ?

-Des diamants, de la peinture, un jean, des cellules, des cailloux, des perles, ma mère, des meurtres. »

Encore un sourire, éclatant dans la lumière du jour enfin revenue.

« C'est bien. Tu as regardé. »

☆•° dépose-minute °•☆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant