i - une déclaration

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« Je t'aime. »

Trois mots.

Sept lettres.

Une apostrophe.

Les lèvres gercées s'entrouvrent, avec peine car elles sont restées scellées l'une à l'autre des heures durant. Un mince, presque invisible filet de salive les joint encore.

La langue bouge aussi. Elle se colle presque au palais en prononçant le « j » hésitant, le frappe avec vigueur sur le « t », module avec douceur le « m », s'attarde langoureusement, pleine d'espoir, sur le « ai ».

Cette voix, rauque, un peu cassée, un peu éraillée, qui démarre lentement, de peur de s'arrêter, de buter sur les mots. Puis qui prend de l'assurance, monte un peu vers les aigus, et brusquement se tait. Je l'ai entendu, le « e » a à peine été prononcé, et d'une tonalité inquiète. La voix soudain a regretté.

La mâchoire forme une courbe douce, le menton est triangulaire, et dessus quelque duvet cherche à sortir pour prendre son essor, et révéler la barbe que le jeune garçon attend avec une impatience croissante. La mâchoire, au fur et à mesure des syllabes, est descendue, est remontée. Désormais elle reste crispée, comme pour empêcher la langue de lâcher d'autres mots vains.

Les yeux, eux, sont embués. Ils se sont plantés dans les miens avec volonté, pour se forcer à ne pas se dérober. Turquoise, jade, les couleurs s'entremêlent pour ne plus former qu'une iris, floue derrière les larmes qui approchent. J'en vois une, tiens, elle glisse le long des noirs cils, accroche un rayon de soleil qui passait par là et le diffracte à l'infini, avant de franchir la barrière de la paupière inférieure et de rouler avec lenteur sur le velours de la joue. La main qui est dans la mienne se crispe, elle brûle d'aller essuyer la goutte d'eau d'un geste rapide et discret, je le vois. Mais j'enroule un peu plus mes doigts autour des siens pour l'en dissuader.

Je ne puis apercevoir l'esprit, mais je le devine. Il s'affole, il a peur, peur de mon absence de réplique. Cela fait déjà quelques secondes que je me tais. L'esprit n'aime pas le silence, il veut une réponse immédiate. Il veut que je dise « oui », ou « non » d'ailleurs, il s'en moque bien au fond. Une réponse positive lui serait plus agréable, certes, mais ce qu'il désire vraiment, c'est des paroles, des mots, des phrases, n'importe quoi pourvu que cela remplisse ce silence qu'il abhorre. Je connais cet esprit-là, il a besoin de certitudes, sinon il se noie dans l'océan du doute. Il a tort. Il ne faut pas se débattre, mais se laisser couler, et observer les fonds marins. Le doute est une force pure et dure, il ne sert à rien de lui résister, il faut l'accepter, la faire sienne. En cela, je peux l'aider. Je serre la main dans la mienne plus fort. J'attends, je ne dis rien, pas encore. L'esprit cesse alors de crier en appelant la voix, la bouche, la langue à l'aide. Il se laisse aller. Une fois sous la surface du doute, il découvre le monde sublime des possibilités et ouvre de grands yeux émerveillés. Les chemins sont multiples et variés, il le voit enfin.

En fait de chemin, j'ai déjà choisi celui que j'allais emprunter, et ce depuis longtemps. Maintenant que l'esprit est apaisé, je vais pouvoir le dévoiler. Ma voix, ma bouche, ma langue se mettent en action, non pas parce que je leur ordonne, mais parce qu'elles savent, elles savent qu'à ce moment, j'ai besoin d'elles.

« Moi aussi. »

☆•° dépose-minute °•☆Where stories live. Discover now