Chapitre 2 - partie 3

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Malgré son ton engageant, la chasseuse d'Egvel était méfiante. Elle se tenait droite, presque en alerte et ses oreilles de panthère restaient couchées. Sighild se planta devant elle, lui signifiant qu'elle dirigeait le groupe et que c'était à elle qu'il fallait s'adresser.

— Je suis Sighild Svanhild, fille du chef de Thorov.

— Thorov ? répéta Elfi. À l'est d'Holfotte, c'est ça ?

— Exact.

— Vous êtes loin de chez vous. Qu'est-ce que vous faites dans les dunes de neige ?

— Cela ne te regarde pas.

Sighild semblait détester cordialement la nouvelle venue. Elle la toisa de la tête aux pieds avec dédain sans prendre la peine de se cacher. La jeune femme-once qui lui faisait face était courtement vêtue : un simple bandeau cachant sa poitrine et un pagne couvrant ses hanches. Elle ne portait ni gants ni chaussures.

— Je doute que tu sois chasseuse, lâcha Sighild.

— Et qu'est-ce qui vous en fait douter ?

— Habillée comme tu l'es, tu ne peux être qu'une catin, asséna-t-elle avec un sourire.

Un sourire qu'elle perdit dès qu'elle ne sentit plus le sol sous ses pieds et que le manque d'air l'oppressa. Vive comme l'éclair et avec un rugissement bref, Elfi l'avait saisi à la gorge de sa main solide. À présent, elle la soulevait de terre et serrait ses doigts sur son cou. La fille d'Halfan sentit les ongles de la jeune femme-once entailler sa peau jusqu'au sang. Elle avait beau se débattre corps et âme, elle ne parvenait pas à faire lâcher prise à son ennemie.

— Et quel genre de guerrière es-tu pour te faire dominer par une putain ? cracha la jeune femme. Regarde-toi, faible comme un nourrisson, tu ne peux même pas sauver ta vie. Comment fais-tu pour ne pas avoir honte de toi ?

— Je vous en prie, intervint Thorkil. Si vous la blessez, Thorov demandera réparation et cela entraînera une guerre inutile en pleine période de famine.

Les oreilles d'Elfi se dressèrent vers le ciel. Elle était curieuse.

— Famine ? répéta-t-elle. Le gibier manque-t-il à Thorov aussi ?

— Ici également ? intervint Vilfrid.

Elfi le fixa sans répondre. Elle regarda ensuite Thorkil et Eivind avant de retourner son attention sur Sighild à deux doigts de s'évanouir. Sans baisser le bras, elle lâcha prise. La fille d'Halfan s'écroula par terre et toussa.

— Vous semblez être de valeureux guerriers, dit-elle à l'attention des trois hommes, sans tenir compte de la présence à ses pieds de la chasseuse de Thorov. Egvel subit aussi la famine. Mes chasseurs et moi ne trouvons que quelques petits animaux à ramener au village mais ce n'est pas suffisant pour nourrir tout le monde. Nous avons perdu depuis trois semaines la trace des grands troupeaux. Nous pensons qu'ils ont dû partir vers l'Ouest plus tôt qu'à l'accoutumée. Mais le fait qu'il n'en reste aucun me semble anormal.

— Nous étions en route pour l'Ouest, informa Thorkil.

— Alors vous n'êtes pas du tout sur la bonne route.

— Nous avons été pris dans la tempête et nous nous sommes égarés. C'est comme cela que nous sommes arrivés...

— Aux dunes de neige, précisa Elfi. Nous nous trouvons ici au nord d'Egvel, à moins de trente kilomètres. Vous vous êtes bien éloignés.

— Pourriez-vous nous servir de guide jusqu'à votre village ? demanda le maître d'armes. Après, nous rattraperons le Chemin des Vieux Marchands.

— Cela ne me dérange pas. À une condition toutefois.

— Laquelle ?

— Que cette chienne tienne sa langue, asséna-t-elle en montrant Sighild d'un signe de tête.

La concernée se leva et voulut parler mais sa voix s'était enrouée. Le visage figé dans un rictus de haine, elle inclina cependant la tête en signe d'approbation. Si elle voulait retrouver son chemin dans cette partie du pays qu'elle ne connaissait pas, elle n'avait aucun autre choix.

Pour la première fois de sa vie, elle s'effaça devant plus puissant qu'elle. Mais elle n'était pas prête de digérer cette humiliation.

— Je ne connais toujours pas vos noms, rappela la chasseuse d'Egvel.

— Je suis Thorkil Arildson et voici Vilfrid Skeggi ainsi qu'Eivind Rurik.

Elfi hocha la tête avant de se diriger vers Sighild. Cette dernière se redressa de toute sa hauteur afin de l'accueillir avec tout le dédain dont elle était capable, mais la jeune femme-once la snoba magistralement. Elle passa à côté d'elle en prenant soin de la bousculer, puis elle s'avança vers Eivind en roulant des hanches.

— D'où viens-tu ? lui demanda-t-elle en se collant à lui.

Surpris qu'une femme le renifle, Eivind eut un moment d'hésitation.

— Faror, répondit-il finalement.

— Tu sens le soleil, sourit-elle en levant la tête vers lui, dévoilant sa dentition impressionnante d'un blanc immaculé.

Le pisteur se rendit alors compte qu'Elfi était à peu près du même âge que Sighild, chose que son attitude méfiante avait cachée. Son véritable âge se devinait mieux maintenant qu'elle était en confiance et Eivind l'estima à vingt ou vingt-et-un ans. Tout en l'observant, il se noya dans le bleu de ses grands yeux.

— Je rêve de voir le Sud mais Père me l'interdit, reprit la jeune femme. Le soleil me déshydraterait en quelques minutes si je n'étais pas protégée par un enchantement. C'est le prix à payer pour ne pas avoir froid ici.

Elle attrapa la lance, la délogea de la neige et la tendit à Eivind.

— Allons-y. Le soleil va bientôt se lever. Nous serons chez moi dans la soirée.

Livre 1 - SighildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant