Chapitre 1 - partie 3

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Eivind sortit de la pénombre. Il avança vers la table et s'assit à côté de son chef.

— Tu n'aurais pas dû entendre notre conversation, s'excusa Halfan.

— Je ne suis pas surpris par ce qui a été dit. Votre fille ne cache pas ses sentiments à mon égard. Elle sera bien tranquille lorsque je partirai.

Le chef de village se raidit :

— Qu'as-tu dit ? Partir ? Quand ? Pourquoi ?

— Je ne me fais pas d'illusions, Halfan. Dès que votre fille deviendra cheffe, elle m'exilera. Alors je partirai avant, dès que vous lui céderez votre titre ou que vous ne serez plus.

La vérité laissa le patriarche sans voix. Il ne pensait jamais à ce qui arriverait après lui, seulement à ce qui arrivait avec lui.

Eivind se leva alors et vint poser une main amicale sur l'épaule de cet homme pour qui il nourrissait tant d'admiration et de respect.

— Je resterai avec vous jusqu'au dernier instant, Chef. C'est une promesse. Mais en attendant que ce jour arrive, pourrais-je vous emprunter votre cheval de trait dans la journée ?

C'était là la seule raison l'ayant poussé à rester ici et à attendre qu'il fut seul. Il n'avait jamais eu l'intention d'écouter à la porte d'un homme qu'il portait aux nues. Son principal souci n'était pas les sentiments de l'héritière de Thorov mais bien de garnir sa réserve de bois avant l'arrivée du grand froid. Avec un cheval comme précieux allié, il en rapporterait plus en moins de voyages.

Dès qu'il eut la permission de venir chercher l'animal quand bon lui semblerait, Eivind s'en alla.


Sighild déplia une grande carte sur le bureau de ses appartements au levé du jour. Elle travaillait sur les itinéraires des grands troupeaux depuis qu'elle avait eu le droit de s'éloigner du village sans escorte. Six ans qu'elle traçait, notait, raturait le papier épais. L'encre avait souvent taché ses mains mais rien n'avait entamé sa motivation. Aujourd'hui, elle récoltait le fruit de tant de nuits de travail. La carte qui lui faisait face était la plus précise possible quant au déplacement du gibier sur plusieurs centaines de kilomètres, jusqu'au commencement du Chemin des Vieux Marchands.

Elle passa la matinée à préparer ses affaires, à affuter ses armes et à s'occuper de Mund, son mouflon domestique qui lui servait de monture. D'un caractère doux, l'animal était apprécié dans ces contrées du Nord où son endurance et sa facilité à se déplacer dans la neige étaient fort utiles. Mais cet avantage avait un coût non négligeable, d'où la rareté des bêtes dans le village.

Une brosse à la main, Sighild lissait le pelage soyeux de Mund qui appréciait les soins tout en broyant de l'écorce. La vie du Nord était plus facile pour les végétariens et les petits prédateurs. La nourriture manquait rarement.

Le mouflon leva la tête lorsqu'un bruit l'alerta. Sa maîtresse se retourna pour en trouver l'origine et vit Vilfrid s'avancer. Il s'arrêta à côté d'elle et flatta l'encolure de l'animal. Sighild fixa l'homme qui la dépassait d'une tête en attendant qu'il s'explique sur sa présence ici. Mais son futur époux ne semblait pas enclin aux bavardages.

— Tu veux quelque chose ? demanda-t-elle dès que le silence l'indisposa.

— La prochaine fois que tu as des idées brillantes, laisse-moi en dehors de ça. N'importe qui d'autre aurait fait l'affaire.

— Et que crois-tu que les villageois auraient pensé de toi si tu ne m'avais pas accompagnée ? questionna-t-elle en reprenant sa tâche. Leur futur chef, non content de ne pas bouger le petit doigt pour les sauver, laisse de surcroît sa future épouse partir seule loin dans les terres.

Livre 1 - SighildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant