Entre amis ?

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Ghislain jeta un regard circulaire sur la salle et trouva aussitôt Aliénor. Elle était seule, une chope posée devant elle. Ce n'était pas une surprise. Cela faisait deux mois que les événements avec le sorcier avaient eu lieu. Depuis, elle avait été rejetée par la communauté des créatures magiques même si son ami humain ne s'était plus montré. Ghislain se doutait qu'il était encore quelque part dans le coin : il réglait des repas pour deux depuis trop longtemps pour douter. Il savait que les lycanthropes avaient de l'appétit, mais à ce point... Ghislain espérait pouvoir discuter avec Aliénor. Peut-être s'était-elle résolue à abandonner son soutien stupide ? Le vampire, pour sa part, n'avait pas changé d'avis. Il se laissa tomber sur une chaise en face de son amie.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il.

À sa surprise, elle semblait radieuse.

— Je vais bien, en partie grâce à toi Ghislain, reconnut-elle. Tu m'as aidée à me remettre sur pied. Je te remercie.

Le vampire sourit.

— Ce n'est rien, dit-il. Tu en avais besoin.

— Tu sais que j'ai compté chaque centime que tu as investi et que je compte bien te rembourser ? demanda-t-elle. D'ailleurs, je serai en mesure de le faire d'ici quelques semaines.

Ghislain lui lança un regard étonné.

— Comment est-ce possible ? interrogea-t-il.

— Philibert va m'avancer une partie de la somme et je vais essayer de gagner le reste en travaillant, expliqua-t-elle.

— Je ne veux pas de son argent, répondit Ghislain. Nous ne sommes pas pressés. Et tu parles d'un travail ? Où ça ? Quand ? Et surtout, comment ?

Aliénor se passa une patte timide sur le visage.

— Je... hésita-t-elle. Je ne suis pas encore sûre de le tenter mais... Je pense que je vais essayer d'être humaine une partie de l'année.

Ghislain ne savait pas quoi dire. Il était bouche bée.

— Je sais ce que tu te dis, ajouta Aliénor. Que j'ai perdu l'esprit. C'était aussi mon avis mais plus le temps passe, plus je me dis que je n'ai aucune raison de ne pas essayer. J'ai envie de voir l'effet que ça aura. Peut-être, avec le temps, parviendrai-je à convaincre les humains que nous ne leur voulons pas de mal ? Philibert pense que c'est possible.

Cette fois-ci, Ghislain n'était pas capable d'en entendre davantage.

— Es-tu naïve à ce point pour penser que les humains vont t'accepter ? demanda-t-il. Tu sais bien que c'est faux ! S'ils se rendent compte que tu es différente ils s'en prendront à toi ! Tu as des années d'expérience dans le domaine, pourquoi sembles-tu les avoir oubliées ?

— Je ne les ai pas oubliées, répondit Aliénor. Je veux juste essayer pour voir ce que ça fait !

Ghislain poussa un profond soupir. Il sentait l'angoisse l'envahir de façon irrépressible.

— Tu cours à ta perte, dit-il. Je t'ai laissé faire jusque-là parce que je te respecte, mais j'avoue que je suis inquiet pour toi. Tu vas risquer ta vie de façon stupide !

— Pas si je parviens à faire cesser cette guerre contre la magie, répliqua Aliénor. C'est elle qui est stupide. Philibert dit qu'il a une solution.

Cette fois-ci, Ghislain étouffa un éclat de rire. Voyant le regard furieux de son amie, il essaya de se retenir.

— Bien sûr, il surgit de nulle part et il a une solution miracle à une guerre qui dure depuis des décennies, dit-il. Tu ne crois pas que nous avons déjà essayé ?

— Parce que d'autres ont essayé et échoué nous sommes des incapables ? renchérit Aliénor. Même si c'est désespéré, je suis prête à prendre le risque. Cela fait des années que Philibert travaille sur sa formule : une potion qui pourrait changer le monde, faire accepter les créatures magiques comme si elles étaient humaines. Je veux l'aider. Et j'aimerais que tu l'aides aussi : il a besoin d'un extrait de peau de vampire.

Ghislain leva les yeux au ciel.

— C'est hors de question ! s'écria-t-il. Pourquoi ferais-je ça ? C'est complètement fou ! Je ne sais pas ce qu'il trame. Il est en train de te tromper ! Comment peux-tu faire confiance à un humain et pas à moi, ton ami ?

Aliénor baissa les yeux. Son regard était triste.

— Philibert est la première personne que je rencontre à m'accepter comme je suis, glissa-t-elle.

Ghislain se sentit envahi par l'indignation.

— Moi aussi je t'accepte telle que tu es ! s'écria-t-il.

Aliénor eut un faible sourire.

— En tant que loup-garou, bien sûr, acquiesça-t-elle. Mais rien de plus. C'était la même chose pour mes parents : ils m'acceptaient en tant qu'humaine. Pas le reste. Philibert est le premier à prendre en compte les deux facettes de ma vie, celle de la créature magique et l'autre, plus secrète.

Ghislain la dévisagea avec stupeur.

— Mais... balbutia-t-il. Tu es une créature magique. C'est comme si je disais que je suis autant humain que vampire.

À sa grande surprise, Aliénor posa sa main sur la sienne. Elle souriait.

— Je suis désolée de te le dire, mais tu l'es, glissa-t-elle. Tu l'es plus que tu ne veux l'admettre.

C'en était trop pour Ghislain. Il se leva.

— Je te répète ce que je t'ai dit la dernière fois, dit-il d'une voix froide. Appelle-moi quand tu te seras séparée de Philibert. Pour de bon, cette fois.

Le vampire prit le chemin de la sortie d'un pas résolu.Il ne pouvait plus supporter de voir Aliénor dans cet état. Il n'aimait pas ce qu'ellelui disait et il se méfiait de l'homme. Il y avait quelque chose d'étrange dansson plan, dans sa façon de parler. Ghislain en avait assez de faire l'autruche.Il allait aider son amie sans rester auprès d'elle. Il allait mener sa propreenquête, dans son coin. Il en aurait le cœur net. Et il s'y mettait dèsmaintenant.

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