Partie 4

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Les voici maintenant, installés à même le sol, de chaque côté d'une petite table au centre de la modeste chambre de l'Érudit. On aurait dit la chambre d'un adolescent. Mal rangée, lit défait, un ordinateur, une console de jeux et une tonne de CD disséminée dans tous les coins.

''Pose tes questions, quand je ne peux y répondre sans conditions, je te le notifierais. Je t'écoute, que veux-tu savoir ?''

''Faisons un test. Quelles chansons aimez-vous ? demanda Émilie se sentant comme les enquêteurs des séries télévisées.''

''Aucune, je n'en ai trouvé aucune qui parle pour moi, même si je ne déteste pas la musique. J'écoute surtout de la J-pop.''

''Hum, étrange pour votre âge, sans vouloir vous offenser. Quel est votre travail ?''

''Je suis informaticien.''

''C'est pour ça que vous n'avez pas besoin de sortir de chez vous. D'ailleurs, pourquoi vous enfermer ?''

''Ce monde n'a plus de secrets pour moi, je préfère me consacrer aux univers fictifs à présent.''

''Je n'arrive pas à vous croire, mais enfin bref, passons. Êtes-vous une bonne ou une mauvaise personne ?''

''Pas sans condition.''

''Comment ? répondit-elle brusquement, surprise de la réponse.''

''J'avais prévenu que je notifierais dans le cas où je ne peux répondre sans condition.''

''Bien et pourquoi cela ?''

''Parce que tu ne comprendrais pas. Tu ne vois qu'une partie infime de la réalité. Ta vérité et la mienne sont différentes.''

Effectivement, Émilie ne comprit pas où l'Érudit voulait en venir. Pour elle, il n'existait qu'une seule réalité. Les oiseaux volent, les poissons nagent, l'amour est beau et tout le monde recherche le bonheur.

''Supposons que vous ayez raison, qu'elle est cette fameuse condition à remplir pour que vous puissiez répondre à mes questions sans exceptions ?''

''Pour cela, tu dois être malheureuse.''

''Quoi ?! Mais je ne sais même pas comment l'être de toutes les manières...''

''Ça c'est un gros mensonge, tu ne pourrais pas être consciente de ton propre bonheur autrement.''

''Peu importe, en quoi être malheureux permet de comprendre ce que vous avez à dire ?''

''Tu te méprends. Les gens comme toi ne comprennent pas, ils acceptent seulement... Le bonheur et le malheur se repoussent naturellement. Tu dois être en position d'accepter ce que je vais te dire avant que je ne le fasse. La vérité est triste, c'est un fait.''

''Vous auriez dû créer une secte, je vous assure, vous jouez votre rôle à merveille. Dommage, avec moi ça ne prend pas, car en réalité vous ne savez rien.''

''Exactement comme je le disais à l'instant, tu repousses l'incompatible. Tu nies. Écoute, je ne vais pas te retenir, mais je vais te proposer mon aide. Ce soir tu recevras un mail avec une vidéo épinglée, si tu la regardes, tu deviendras pour sûr malheureuse. À ce moment-là, reviens me voir.''

Sur ces dernières paroles, Émilie mit la phase finale de son plan à exécution. Elle rentra à la maison, puis prit un bain glacé afin de tomber vraiment malade. Une fois ses parents de retour, elle simulera avoir essayé de se rendre en cours, mais être tombée de fatigue sur la route.

Comme prévu, le stratagème fonctionna à merveille et elle eut même le droit à un traitement de faveur en cette fin de journée.

Le soir, de retour dans sa chambre avec un pull sur les épaules, elle vérifia son courrier électronique. Parmi tous les messages, l'un venait d'un expéditeur inconnu. Elle l'ouvrit avec des haut-le-cœur, une vidéo y était épinglée. Ça ne pouvait être que lui.

Elle hésita longuement avant d'ouvrir la vidéo, mais au final, elle se disait qu'une simple vidéo ne pouvait pas sensiblement influer sur son bonheur. Elle téléchargea le fichier qui demandait une autorisation spéciale avant de s'exécuter, n'ayant pas peur des virus, elle coupa son pare-feu informatique. La vidéo durait dans les quinze minutes.

Au début, Émilie semblait intriguée, puis très rapidement se mit à sangloter. Son visage se décomposait en face des images qu'elle s'imposait à subir, elle ne pouvait décoller son regard de celles-ci. Captivée par la Symphonie n°3 de Krzysztof Penderecki en fond.

''Chéri tu vas bien ? J'entre ! averti son père, ayant ouï les lamentations de sa fille.''

''Non, non ! Ça va, gueula-t-elle stressée à l'idée qu'il voit la même chose qu'elle.''

''Comme tu voudras...''

Le contenu de la vidéo devenait de plus en plus toxique, la tonalité de la musique intense et le souvenir d'une Émilie resplendissante, lointain. À la fin de celle-ci, la vidéo se supprima automatiquement, mais les notes se gravèrent dans la psyché d'Emilie. Elle n'eut qu'un seul réflexe, contacter Gabriel.

''Émilie, c'est toi ? Tu vas bien ? Tes copines m'ont dit que tu étais malade, désolé de ne pas t'avoir appelé avant.''

''Tu es où là ? J'ai entendu comme des gémissements, enfin bref... J'ai besoin de te voir, rejoins-moi au cinéma pour la séance de minuit.''

''Ce soir ? Mais on a cours demain et en plus tu as une petite voix, tu es certaine de ce que tu veux ?''

''Oui, viens. Ne pose pas plus de questions.''

''...''

Vingt-trois heures passées, Émilie retrouva son compagnon sur le chemin du cinéma après avoir mené une opération ninja afin de quitter la maison sans alerter sa famille.

''Émilie, j'ai accepté de venir pour toi, mais je trouve que c'est une très mauvaise idée. Tu es malade et on relate plus d'une disparition ces derniers temps. Je ne suis pas supposé te le dire, mais mon père travaille à la police et ils ont retrouvé des corps... Un psychopathe se balade dans les rues !''

''Arrête de faire la victime, je ne suis même pas malade. J'ai fait semblant pour ne pas aller en cours aujourd'hui.''

''Ça ne te ressemble pas.''

''C'est peut-être parce que tu n'as pas cherché à en savoir plus à mon sujet que tu dis ça.''

Gabriel préférait se taire. Émilie n'était définitivement pas de bonne humeur.

Arrivés à côté d'une courte impasse où l'on entreposait les ordures, Émilie arrêta son ami en le tenant par le bas du t-shirt.

''Qu'y a-t-il ? questionna Gabriel.''

Pas de réponse, Émilie continuait à fixer le sol sans vouloir lâcher le tissu. Elle sortit un couteau de cuisine de sous son pantalon et le planta violemment dans le ventre de Gabriel. Le choc fut si violent qu'il s'étouffa dans son propre sang.

Sa mission accomplie, Émilie jeta le corps de son amant derrière un tas de déchets. Elle se changea avec les affaires qu'elle avait entreposées au préalable dans son sac et se nettoya avec des lingettes.

''Salopard...''

La Maison InitiéeWhere stories live. Discover now