Chapitre 1: Justin.

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Cela fait une semaine que nous marchons, nous partons dans les Vosges. Les villes ne sont plus sûres, les custodias nous recherchent. Rose a reçu une lettre d'Emy ce matin, il y a eu une trahison au sein de notre communauté. D'après les chefs, ce serait la cousine de Myra, la femme chez qui nous avions passé une nuit. Elle s'appelle Coralie, elle nous a dénoncé pour de l'argent. Je n'arrive pas à croire qu'elle ai put faire ça.

Les purpuras se cachent, dans les montagnes surtout. Les jeunes qui ne s'étaient pas fait tatouer essaient de faire passer de la nourriture ou des vêtements, c'est très dangereux pour eux. De plus, nous sommes bien cachés, c'est donc compliqué pour eux d'y accéder. Une nouvelle vie s'annonce pour nous, vivre loin de notre confort, dans la nature.

Je n'ai jamais vu Alicia dans cet état là, elle ne parle plus, ne rigole plus. Suzie était un être très cher pour elle, elle ne s'en remettra sans doute jamais entièrement. De plus, le fait d'avoir tué un homme la rend malade. Elle me fui, je la laisse tranquille pour le moment. Je ne veux pas la brusquer, elle est dévastée, je ne peux rien faire maintenant. Seul le temps arrange ce genre de chose, et je sais qu'il va lui en falloir beaucoup. Suzie me manque à moi aussi, c'était une femme incroyable, très attentionnée. Elle pensait toujours aux autres avant de penser à elle. Elle nous offrait tout ce que nous voulions. Je ne la connaissais pas beaucoup, mais je m'étais beaucoup attaché à elle. Sa mort a laissé un vide entre nous tous, l'ambiance est maussade, nous parlons peu, seulement pour dire le nécessaire.

Nous marchons dans les forêts le jour, et traversons discrètement les villes lorsqu'il fait noir. Les custodias patrouillent tout le temps, mais ils sont moins vigilants lorsque la nuit tombe. Pour l'instant, la route s'est plutôt bien passée. Le seul problème, se sont les chevaux, ils ont faillis nous faire repérer plus d'une fois. Nous ne pouvons pas les laisser dans une ferme, nous avons besoin d'eux; de plus, Alicia est devenue très proche de Plume, la jument de Suzie. Je pense que c'est un moyen pour elle d'oublier un peu la mort de sa tante. Même si je comprends qu'elle va mal, son attitude envers moi me blesse. Le fait qu'elle me repousse, au lieu que je puisse l'aider à surmonter cette épreuve. Malgré cela, je sais qu'elle va s'en sortir, c'est une battante, elle est forte.

Nous mangeons un maigre repas, un morceau de pain rassis et un peu d'eau. Nous repartons ensuite, il fait nuit. Il n'y a presque aucun bruit, nous n'entendons que les sabots des cheveux qui résonnent lorsqu'ils atteignent les pavés de pierre. Nous n'avons toujours pas vu de custodias, c'est anormal. J'ai mal aux jambes, je ne dis rien, aucun bruit supplémentaire n'est toléré.

Nous atteignons la forêt à l'aube, sans encombre. Nous devrions arriver dans les Vosges d'ici deux à trois jours. J'ai hâte d'être là-bas, nous serons beaucoup plus en sécurité. Certains custodias s'aventurent dans les forêts, nous en avons vu plusieurs; heureusement pour nous, ils ne nous ont jamais remarqué. Alicia se repose dans la calèche, je décide d'aller la rejoindre. Elle dort, je m'assois à ses côtés. Je l'entends marmonner, il me semble que c'est le prénom de sa soeur, Lucille. Elle ne la reverra sans doute jamais. En partant de Brest, elle nous a supplié de de rentrer en Italie, que nous devions absolument retourner chez elle. Elle voulait leur dire une dernière fois qu'elle les aime, et qu'elle ne les oubliera jamais. Rose le lui a interdit, elle ne serait jamais revenue vivante. Depuis, elles ne se parlent plus, Alicia lui en veut beaucoup. J'aurais également aimé revoir ma famille une dernière fois. J'ai un pincement au coeur en y pensant. Malgré ce qu'ils m'ont fait, ils sont ma famille. Je me concentre sur le souffle d'Alicia, je me suis interdit de repenser à eux...

Alicia s'agite dans son sommeil, elle parait affolée. Elle murmure des mots incompréhensibles. Des gouttes de sueur perlent sur son front, elle est pâle. Lorsqu'elle se réveille, elle me regarde d'un air étrange.

-Qu'est ce que tu fais là?me lance-t-elle agressivement.

-Rien, je venais voir si tu allais bien.

-Je vais très bien, dit-elle sèchement.

Elle sort ensuite en claquant violement la porte derrière elle. Je ne sais même pas ce que je ressens en cet instant. Je suis choqué qu'elle me parle comme ça, j'ai du mal à y croire. Je souffle et ferme les yeux. Je m'allonge sur la banquette, je suis vraiment fatigué en ce moment, nous ne dormons pas beaucoup. Mon sommeil est entrecoupé de cauchemars et de rêves étranges.

Emelynne vient me réveiller, la nuit est tombée et nous devons être plus vigilant. Nous marchons vite, la peur nous serre le ventre. J'entends le crépitement du feu dans les lanternes des maisons. Au bout de deux heures de marche, Rose nous chuchote d'une voix autoritaire de nous arrêter. Nous sommes cachés dans une petite ruelle, des custodias passent devant nous, mais ne nous voient pas. Nous entendons leurs pas résonner bruyamment dans la nuit silencieuse. Une fois que le calme revient, nous repartons, encore plus à l'affut du moindre mouvement ou du moindre bruit. Je suis derrière Alicia, Emelynne est à côté d'elle. Il fait froid, je claque des dents malgré l'épaisse couverture posée sur mes épaules.

Jade ne va pas mieux, elle et Alicia se ressemble en ce moment. Rose a essayé plusieurs fois de leur parler, mais elles ne veulent rien dire. Ce qui se passe est très dur pour nous tous, nous gérons à notre façon. Personnellement, j'essaie de faire comme si il ne s'était rien passé; pas la peine de vous dire que je n'y arrive pas. Alors je passe mon temps à penser à Alicia, j'essaie de l'approcher, de lui parler.

Dans l'après midi, je décide d'aller la voir pour la énième fois. Elle me regarde sans aucun sourire. Nous nous asseyons sur une pierre, la pluie commence à tomber. Son regard est perdu dans vide, ses yeux ont une lueur de tristesse intense. Je la regarde attentivement. Elle est devenu plus pale, plus maigre aussi. Elle est toujours aussi belle, mais elle a changé, autant mentalement que physiquement.

-Justin, je...

Elle se mord la lèvre, une larme se coince sur le côté de son oeil; elle l'essuie furtivement. La pluie coule sur nous, roule sur notre peau. Voyant que les mots ne peuvent pas franchir ses lèvres, elle se penche vers moi et m'embrasse doucement. Je suis vraiment surpris par son geste. Elle ne m'avait pas montré d'affection depuis la mort de Suzie. Je la prend dans mes bras, je sens ses larmes chaudes couler sur mon épaule. Je lui caresse le dos pour l'apaiser.

-Je suis désolée, me dit-elle tristement.

-Ce n'est rien.

Puis elle repart, me laissant seul sous la pluie. Je ferme les yeux quelques secondes, et repars ensuite. Mes pieds foulent le chemin parsemé de feuilles mortes, créant un bruit soulageant pour moi. Je pars dans une des calèches, et m'endors presque immédiatement.

Les Âmes rebelles, Livre IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant