Sage courut aussi longtemps qu'elle le put, mais elle fut rapidement à bout de force. Elle titubait en prenant la direction de son loft, les rues se succédaient et des flashs commencèrent à envahir son esprit. Elle devait secouer la tête par moment pour faire disparaître ses images, ses souvenirs qui ne lui appartenaient pas. Son cœur battait vite et elle avait chaud, très chaud. Son front et son dos coulaient d'une sueur froide qui la faisait frissonner. Elle se retint d'une main ensanglantée sur un mur en béton, y laissant une trainée rouge sombre après son passage. Elle ignore comment ni au bout de combien de temps, mais elle arriva enfin chez elle et se laissa glisser sur le sol de sa salle de bain, incapable de faire un mouvement de plus. A moitié sur le ventre et sur le côté, recroquevillée sur elle-même, son visage contre le carrelage froid, sa main attrapa son téléphone. Sa voix était faible quand Shannon décrocha.

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Shannon ne savait pas trop à quoi s'attendre quand il franchit le seuil du loft de sa cousine. Elle l'avait appelé un peu plus tôt, lui demandant de venir, qu'elle avait besoin d'aide. Sa voix était faible, si basse qu'il avait eu du mal à la comprendre.

— Sage ? appela-t-il en passant le seuil. Il alluma la lumière et baissa le regard. A ses pieds partaient des gouttes de sang presque séché et formaient une trainée depuis le milieu du salon jusqu'à la salle de bain. Le photographe se précipita dans la pièce et trouva sa cousine étendue au sol, sur le dos, inconsciente. Son ventre présentait de profondes entailles et du sang la recouvrait en plusieurs endroits. Elle ouvrit les yeux en sentant son cousin la porter et frissonna en sentant le froid de l'émail de sa douche sous ses fesses. Il l'avait déshabillait et entreprenait de lui faire prendre une douche. Le processus de cicatrisation était déjà enclenché mais l'eau froide lui permit de retrouver un peu ses esprits. Elle se laissa faire cependant, comme une petite fille après une chute de vélo. Quand sa peau fut redevenue aussi blanche qu'avant, Shannon se redressa en passant les bras de Sage autour de son cou, qu'elle crocheta pour ne pas tomber. Il l'attrapa derrière les genoux et la porte nue sur son lit, où il avait déposé le peignoir ouvert de la jeune femme. Elle l'enfila maladroitement et s'y emmitoufla, le regard fuyant, honteuse, alors que son cousin vint s'asseoir sur le bord du lit.

— Que s'est-il passé ? lui demanda-t-il de sa voix chaleureuse. Tu m'étonne que la Sirène ait craqué. Il était la Harpie avec la voix la plus douce qu'elle connaissait. Elle savait que Shannon ne ferait jamais de mal à une mouche, malgré sa nature sauvage. Elle se sentit encore plus honteuse de son comportement. Elle ouvrit à peine le peignoir et passa sa main sur son ventre, là où se trouvaient trois cicatrices encore vives mais bien refermées.

— J'ai eu tord de t'appeler, Shannon, je suis désolée. J'aurai dû savoir que je cicatriserai, mais j'ai eu tellement peur... il y avait tellement de sang.

— Hey oui. Ce n'est pas parce qu'on est différent qu'on ne saigne pas. On l'oublie souvent. Raconte-moi. Insista-t-il encore, mais la jeune femme resta muette. Elle secoua seulement négativement la tête, en plissant légèrement le front, et eut un sourire désolé.

— Non je... j'ai été stupide. Ce n'est rien.

— Qui t'a fait ça ? demanda Shannon, un peu plus insistant. Il s'impatientait et Sage savait qu'elle ne pourrait pas longtemps lui cacher. Elle sentait déjà que quelque chose changer. Il devait partir.

—Personne. Je me suis... ce n'est rien. Tu dois partir maintenant. Je t'en prie, rentre chez toi. Merci pour ton aide, ça va aller désormais.

Elle le repoussait du lit, ses mains sur les cuisses du jeune homme pour qu'il se lève et la laisse. Mais il semblait bien décidé à rester. Elle s'était redressée sur un coude et se penchait dangereusement vers le bord du lit, si bien que Shannon dut la rattraper pour qu'elle ne tombe pas la tête la première sur le parquet de la chambre. Elle était de nouveau inconsciente, mais cette fois, elle convulsait. Shannon plongea aussitôt une main dans sa poche pour attraper son téléphone et composer le numéro des urgences, mais il n'en eut pas le temps. Il laissa tomber l'appareil à ses pieds et recula lentement jusqu'à ce que son dos rencontre un mur et qu'il s'y laisse glisser jusqu'au sol, éberlué. Devant lui, la jeune femme entamait sa métamorphose.

La Sirène de BrooklynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant