Ma tête avait recommencé à tourner, mon sang me vrillait les tempes et j'avais profité du fait qu'il ait le dos tourné pour m'éclipser. Pour m'éloigner au plus vite de lui et de la vision douloureuse qu'il m'offrait.

Je ne voulais pas lui faire face. Je ne le pouvais pas. C'était tout simplement au dessus de mes forces. Le voir me regarder et ne lire dans ses yeux que du détachement et de l'indifférence à mon égard m'était insupportable. Il n'avait pas conscience de moi, de celle que j'avais été un jour pour lui.

J'étais devenue une étrangère à ses yeux, ses souvenirs lui avaient été arrachés... nos souvenirs. Rien ne serait jamais plus pareil. Et cette soudaine prise de conscience se révélait plus dévastatrice encore que tout ce que j'avais déjà pu endurer par le passé.

Je savais pourtant ce qu'il en était, mais le découvrir en vie alors que je le croyais mort m'avait fait espérer que, peut-être, je m'étais également trompée sur le reste. Ou plutôt qu'on m'avait trompée. Peut-être qu'il ne m'avait pas oubliée... 

Malheureusement, ma bonne étoile — si j'en avais eu une un jour — m'avait quittée depuis longtemps.

Je ne savais pas comment réagir, j'étais complètement déboussolée. La joie et le désespoir se disputaient la place dans mon esprit. D'un côté, le savoir en vie me comblait de bonheur, et de l'autre la dure réalité de la situation revenait me frapper de plein fouet pour me consumer de l'intérieur.

Il n'y avait plus rien à attendre de notre histoire, elle s'était terminée il y avait de cela des années. Et j'étais impuissante.

Il vivait, et je mourais à petit feu.

Alors, j'avais choisi la fuite, parce que je ne voyais pas d'autre alternative. Rien n'aurait pu me soulager de mon tourment. Je pouvais atténuer la douleur des autres mais pas la mienne.

J'étais condamnée à aimer un homme qui m'était inaccessible. Et si je faisais le choix de tout lui révéler, je le perdais définitivement.

Le savoir si près de moi et en même temps si loin était un véritable supplice. Je ne voulais pas risquer de le recroiser, d'avoir à lui parler... Il n'aurait qu'à ouvrir la bouche et m'offrir ses mots pour achever le peu de raison qu'il me restait encore.

Alors, oui, j'avais fuis. Et je continuerais de le faire jusqu'à ce que cette douleur intolérable finisse par s'atténuer à défaut de pouvoir disparaître.

Après avoir couru pendant ce qui me paraissait des heures, je finis par ralentir. J'ignorais complètement où je me trouvais mais je m'en fichais. En quittant mon monde démoniaque, j'avais plongé dans l'inconnu une première fois, cela ne m'effrayait plus dorénavant. Je me laissais porter par le vent, vivant au jour le jour, sans avoir à me soucier du futur.

Je regrettais simplement de ne pas avoir attendu le retour de Keran pour partir. J'aurais aimé pouvoir lui dire au-revoir mais je me consolais en me disant qu'il aurait eu de toute façon bien d'autres sujets de préoccupation en tête. Il avait retrouvé Nae. La vie avait finalement souri à l'un de nous deux, il connaîtrait une fin heureuse avec celle qu'il aimait, c'était tout ce que je lui souhaitais.

Keran m'avait parlé de son frère à de nombreuses reprises durant ces neuf mois passés en sa compagnie. Je l'avais souvent entendu mentionner le nom de Trevor, mais jamais je n'aurais imaginé qu'il s'agissait en réalité du seul homme que j'avais jamais aimé.

Connaitre le vrai nom d'un démon donnait du pouvoir sur lui à son interlocuteur. Alors nous changions tous d'identité une fois sur Terre. Aucun de nous ne voulait risquer de se retrouver mêlé à un rituel d'invocation et d'être ainsi lié à un humain converti aux Arts de l'Occultes. Bien que ces derniers ne soient pas des plus courants en ce monde.

Ignorant que Trevor était le nom par lequel il se faisait appeler sur Terre, je n'avais absolument pas fait le rapprochement entre le frère de Keran et cet homme qui m'avait offert son amour bien des années auparavant. Un homme supposé être mort.

Le destin avait sans doute trouvé très drôle de le remettre sur mon chemin en de pareilles circonstances.

J'étais bouleversée. Mes yeux me piquaient et un bourdonnement incessant menaçait toujours de faire imploser mes tympans.

La barrière d'énergie qui entourait Svatantria disparut soudain sous mes yeux, mes pieds m'avaient portée à quelques mètres de la frontière de la ville, mais je n'y prêtais pas réellement attention. Mon esprit était ailleurs, j'étais perdue dans mes pensées, me remémorant les prémices de mon histoire avec celui qui m'avait initiée aux plaisirs de la vie. Celui qui m'avait fait découvrir le véritable sens du mot amour.

Des souvenirs auxquels je m'étais raccrochée un nombre incalculable de fois au cours des années précédentes... parce que si lui avait oublié, ce n'était pas mon cas. Le fantôme de notre histoire était tout ce qu'il me restait de lui. 


SO Trevor (Édité : Oscula, La Malédiction du baiser)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant