Chapitre 4 : Première et dernière fois

22 3 4
                                    

Gaspard a l'air mystérieux. Il n'a pas l'air d'un homme dans mon milieu où la fortune est la règle numéro une pour y être sans être mal vu. Il n'a pas l'air hautain. Il n'a pas l'air arrogant. Il n'a pas l'air d'être un personnage. Il a l'air d'être lui même.

J'admire toujours le ciel. Je sais que cette rencontre n'est pas rien. Je le sais. Maman me l'a dit. Elle l'a écrit ici, dans son journal que je tiens entre les mains.

"Toutes rencontres dans la vie auront de l'importance à un moment. Il y en a qui ne dureront pas mais il y en aura toujours quelques unes qui se prolongeront pour l'éternité. Et ça, ce sont les plus belles choses au monde."

— Aurore !

Je sursaute, tellement j'ai été surprise. J'étais tellement dans mes pensées, à songer à maman et à Gaspard que je n'ai pas entendu les pas précipités d'Anna.

— Anna ! Vous m'avez fait peur !

— Aurore, avez vous vu dans quel état êtes-vous rentrée ?!

— Anna, essayé-je de la calmer.

— Que s'est-il passé, mon dieu ! Je ne voulais pas faire une scène puisque M. votre père voulait vous voir mais maintenant, il me faut des explications, Aurore !

— Anna ! Calme-toi ! Je vais tout expliquer. Mais calme-toi, s'il te plaît.

Je la vois respirer plus lentement, contrôlant sa respiration. Je suis soulagée. Je n'apprécie pas quand Anna se met en colère. C'est très rare, voir presque jamais, mais quand elle est contrariée, elle le fait comprendre par n'importe quel moyen.

— Il n'y a rien d'alarmant, Anna. Je suis tombée, lui mentis-je. Il y avait beaucoup de monde et on m'a un peu bousculé.

Son visage n'annonce que la colère. Je ne peux lire sur son visage ce qu'elle pourrait penser. Faites qu'elle me croit, faites qu'elle me croit !

— La vérité Aurore.

Je la regarde longuement. Je ne peux pas lui dire la vérité. Sinon elle ne me laissera plus jamais sortir. Plus jamais. Alors que je venais tout juste de goûter la liberté.

— Aurore, un individu vous a t-il frappé ?

Oh non. Elle le sait.

Mes épaules s'affaissent, abattue. Je suis certaine de ne plus goûter la liberté.

— Comment vous le saviez ?

— Vos vêtements déchirés et pleines de terre. La peur dans votre regard. Je n'aurais jamais dû vous inciter à sortir.

Elle pose les mains sur ses cheveux relevé en chignon. Ses sourcils se froncent et une ride de forment entre eux.

Je baisse la tête. Pourquoi ai-je voulu mentir à Anna ? Elle qui est toujours présente quand j'ai le moindre problème. Elle qui est et sera toujours à mes côtés.

J'entends les pieds d'Anna claquer sur le sol. Elle s'approche et s'agenouille à mes côtés en me prenant les mains.

— Aurore, prononce t-elle d'une douce voix. Je sais ce qu'il se passe au village. J'y ai vécu.

Je relève le visage vers elle.

— Oui, j'habitais là-bas. Mais je n'aimais pas. Je préfère travailler pour M. Francfort que de retourner vivre avec les autres villageois.

— Pourquoi ?

Elle soupire.

— Là bas, tout est avec intérêts. Il faut toujours être prudent. Les marchands veulent vous voler et s'enrichir. Alors que M. Francfort a déjà tout pour plusieurs vies. L'argent n'est pas sa première source de préoccupation.

Ce qu'elle dit et ce qu'elle fait sont contradictoire. Elle me laisse sortir mais elle savait qu'elle allait le regretter ? Alors pourquoi a t-elle fait ça ?

— Anna, je voudrais savoir, je prends la parole. Pourquoi m'avez-vous emmenée dehors ? Seule en plus. Alors que vous dites que le village est un danger.

— Aurore, je savais que vous alliez le faire, avec ou sans moi. À un moment, je le sais. Au lieu de sortir sans que personne ne le sache et que M. votre père se mette dans une colère noire, j'ai préféré que vous sortiez maintenant. Comme ça, les conséquences ne seront pas comme je l'avais imaginé.

— Mais Anna, je n'aurais jamais pu sortir, lui dis-je.

Et c'est vrai. Je n'aurais jamais pu, même si je le voulais de toutes mes forces.

— Vous l'auriez fait, je le sais.

Comment peut-elle savoir ce que j'aurais fait dans le futur ? Elle n'est pas moi. Mais moi, je suis moi. Elle ne peut pas mieux me connaître que moi.

— Je vous laisse. Mais surtout, ne sortez pas. Je veux vous savoir en sécurité.

C'est fini. Je ne pourrais plus découvrir le village. Je ne pourrais plus connaître ce qu'était la liberté. Je ne pourrais plus dévaler les pentes. Mais surtout, je ne pourrais plus voir Gaspard. Gaspard. Je ferme les yeux.

Elle se relève, me lâche de ses mains chaudes et réconfortantes et sort.

Je me touche les mains. Une main qui se pose sur une autre. Une main glissant sur une autre. La pression crée par des mains. C'est le premier contact entre deux individus. C'est mon premier contact avec la liberté. C'est mon premier contact avec Gaspard. Mais aussi le dernier.

Intemporel Where stories live. Discover now