2 - Eternelle prisonnière

Beginne am Anfang
                                    

Je voudrais le fuir autant que possible, mais je ne le peux pas. La perspective du mariage de son fils chéri avec la fille de Saint John Knox est la plus grande fierté de Madame Peepson. Cette vieille chouette revêche et bigote n'en peut plus d'attendre le jour où son fils aura pour beau-père notre chef. Aussi, elle s'arrange pour mettre Brice aussi souvent que possible sur mon chemin, afin que la communauté nous voie ensemble, et pour s'assurer qu'aucune mère ambitieuse ne vienne glisser des idées incongrues à l'oreille du Saint et ne suggère que je pourrais épouser quelqu'un d'autre. Je suis persuadée que bien qu'elle ait 500 écrans à surveiller, elle passe un quart de son temps à observer les images retransmises par mon collier...

Malheureusement pour moi, elle ne se contente pas d'envoyer Brice vers moi dès qu'elle le peut. Elle sait que je ne suis pas aussi pieuse que mon père voudrait le faire croire et se fait un devoir personnel que de me remettre dans le droit chemin. J'ai encore moins de liberté que les autres jeunes filles de mon âge : quoi que je fasse, j'ai de fortes chances d'être observée par l'œil inquisiteur d'Anastasie. Même lorsque je suis seule dans une pièce, je dois surveiller mon comportement. Jamais je n'ai droit à du repos.

C'est Madame Peepson qui a signalé à mon père mon seul plaisir : me rendre dans le cercle extérieur du vaisseau pour contempler les étoiles. Elle lui a fait un scandale de ma conduite, prétendant que je fuyais le monde extérieur, que mon comportement était inacceptable et qu'on devrait m'interdire l'accès aux hublots sur l'espace. A la perspective d'une existence privée de la lumière des astres, j'ai cru que mon cœur allait pourrir dans ma poitrine. Heureusement, et bien que Madame Peepson ait raison quant au fait qu'observer les étoiles soit pour moi une fuite, j'ai réussi à convaincre mon père que cette activité me permettait de méditer sur la majesté de Dieu et de Le prier avec plus de force. J'ai été autorisée à poursuivre mes visites à l'immensité de l'univers. Mais Anastasie n'approuve toujours pas que je le fasse, et s'arrange pour que je sois dérangée dès qu'elle me voit dans le cercle extérieur sur ses écrans. De préférence en m'envoyant Brice. Comme aujourd'hui.

Si je pouvais, je m'arracherais mon collier métallique pour échapper à sa surveillance. Je le laisserais sur mon lit, pour qu'elle me croie endormie, et je vaquerais à mes occupations librement. Mais je ne le peux pas. On ne peut pas ouvrir soi-même le bandeau de fer qui attache la caméra à notre corps. A partir du moment où on nous le passe autour du cou le jour de nos sept ans, nous sommes prisonniers.

Oh, je ne m'étais pas laissée faire ce jour-là. J'avais hurlé, j'avais tapé du pied, je m'étais débattue. Même enfant, je sentais confusément le piège que ce collier représentait. Je percevais que mon existence ne serait plus la même une fois qu'il serait collé à ma peau. Mais mon père me terrifiait à cette époque-là. Il a menacé de m'enfermer dans le grenier de notre maison jusqu'à ce que j'accepte de rester tranquille. J'avais peur. J'ai cédé. J'ai été punie tout de même : j'ai dû faire pénitence pendant deux longues heures par jour une semaine durant sur le sol froid de l'église. Et je suis devenue une éternelle prisonnière.

Près de dix ans plus tard, je me suis habituée à ma vie avec le collier, même si je ne l'ai toujours pas acceptée. Je sais qu'il faut que je choisisse mes combats et que je ne me rebelle qu'avec parcimonie. C'est pourquoi je dis sans amertume apparente à Brice :

"C'est bien. Viens t'agenouiller à mes côtés."

Je ne peux pas le repousser : Madame Peepson le soutient inconditionnellement, et s'il se sent contrarié, elle rejettera toute la faute sur moi. Au moins, si j'encourage Brice à prier, il se taira et je pourrai continuer à observer les étoiles dans le silence...

Il ne semble toutefois pas vouloir me laisser tranquille, mais faire valoir auprès de moi sa condition de futur époux, car il me déclare sur un ton plein de sous-entendus :

"Prions pour la stabilité de notre futur mariage et pour la fécondité de notre lignée et des colons de l'Exodus, si tu le veux bien."

Il me jette un regard lubrique qui me laisse frissonnante. Je redoute le jour où ses mains pourront toucher librement ma peau... Je hoche la tête sans répondre et je ravale la bile qui a envahi ma bouche, puis je baisse les yeux vers le hublot et les étoiles. De l'extérieur, je dois presque paraître pieuse.

Soudain, je laisse tomber ma contenance. Un événement extraordinaire vient de se produire. J'en oublie même qui se trouve à mes côtés, et je m'exclame :

"Regarde ! Là-bas, dans l'espace ! Une nouvelle source de lumière !"

Brice hausse les épaules :

"Et alors ? Cela arrive tout le temps, non ?"

Je lui explique, surexcitée :

"Non, pas du tout ! Les étoiles n'ont jamais changé depuis que je les observe ! Il n'y a qu'une seule explication possible... Un autre vaisseau s'approche du nôtre !"

ProximaWo Geschichten leben. Entdecke jetzt