Part 3 : un "petit paysan de rien du tout"

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Ainsi commence ma vie ... Un père écossais, une mère bretonne que peu de chose rapproche mais qui pourtant resteront unis jusqu'à la fin.

Mon père voit le jour en août 1937 . L'année précédente une fille, se prénommant Frances, avait déjà fait son apparition dans le foyer de Angus et Mhairi Muir à Inverness au nord-est de l'Ecosse. La ville tire son nom de sa position géographique : Inbhir Nis, qui signifie en gaélique écossais, embouchure de la rivière Ness. Inverness est d'une manière générale la plus grande ville et le pôle d'attraction de toute la région des Highlands, région peu peuplée et peu fertile, couverte de collines et de montagnes. Le nom Highlands signifie d'ailleurs les hautes terres. Dès 1914 et surtout après 1945, l'Écosse souffre : la puissance britannique la réduit au rang de région appauvrie, marginale et assistée. Les écossais ne bénéficient pas des avantages de l'Union. C'est dans ce contexte que mes grands-parents paternels décident, en 1946, de quitter leur pays et de s'installer dans le sud-est de la France avec leurs trois enfants. En effet, entre temps, un petit William était né en 1942. Mon père a donc neuf ans lorsqu'il arrive en France. 

Je ne sais trop comment mes grands-parents paternels élisent domicile dans un premier temps à Grabels, petit village en périphérie de Montpellier, et viennent ainsi «grossir» la population du village, à l'époque : six cent dix habitants. Mon grand-père n'a aucune difficulté à trouver du travail dans les exploitations agricoles de la région, et ceci même s'il ne parle pas un mot de français. Il apprendra la langue sur « le tas » comme ils disent, mais il apprendra rapidement. Son esprit jovial et sa franchise en feront une personne appréciée de beaucoup. Le vignoble était l'activité agricole principale et ainsi mon grand-père commença une carrière dans le cépage héraultais. Robuste et courageux, il ne lésine pas sur les efforts à fournir dans les terres. Hiver comme été, la vigne requiert des soins, de l'entretien. Habitué au rude climat des Highlands, la chaleur qui règne dans la région d'avril à octobre mets mon grand-père à l'épreuve. Mais, malgré tout, il effectue les tâches qui lui sont confiées et s'avère être un employé travailleur et fiable. Tellement fiable, que son patron le nommera rapidement (au bout de quatre ans) à la tête d'une exploitation agricole que ce dernier possède dans le département voisin, le Gard. D'ouvrier agricole, mon grand-père deviendra bayle.

La vie s'écoule au ralenti pour ma grand-mère. Femme au foyer, elle a très peu de contact avec l'extérieur car la différence de langue représente pour elle un certain obstacle. Cultivée, elle passe beaucoup de son temps à lire et relire les quelques livres qu'elle a emportés avec elle lors de son « exil » : des livres scolaires et des œuvres de la littérature anglaise. Elle effectue des travaux de couture pour la famille, cuisine et s'occupe de l'entretien de la maison. Elle veille précieusement à ce que les enfants soient toujours présentables : vêtements et chaussures propres et soignés. Ce n'est que le dimanche qu'elle se mêle pour un temps à la population du village pour assister à la messe. Très croyante, elle y est présente toutes les semaines et amènent avec elle ses trois enfants. Hors de question pour mon grand-père d'assister à ce qu'il considère une « mascarade dominicale ». Revêtus de leur plus beaux habits et chaussés des souliers du dimanche, les écossais partagent les bancs de l'église et reçoivent des signes de tête et quelques sourires de la part des autochtones. Quelques uns décrochent un « Bonjour madame » auquel répond timidement ma grand-mère par un « Bonjourrr messieurs mesdames» avec un roulement de r qui fait sourire gentiment à nouveau les gens du village.  

Les aînés, Frances et mon père, sont envoyés à l'école dès leur arrivée au village. Qui dit petit village, dit petite école. Garçons et filles sont séparées, classes et cours de récréation différentes. Quatre instituteurs se partagent les cinq classes de l'enseignement primaire : trois femmes et un homme. Deux d'entre eux connaissent un peu l'anglais, l'homme parle plus facilement et il doit cela au réseau de résistance dans lequel il était un membre actif. Leur arrivée à l'école sera donc facilitée par la possibilité de communiquer avec lui : se faire comprendre et comprendre ce que l'on attend d'eux. Ils demeurent cependant une curiosité pour les autres enfants. Les cheveux roux, les yeux clairs, leur accent, leur langue différente les mettent à part des autres enfants. Ils seront isolés en classe et lors des récréations impossible d'être à nouveau rassemblés. Au début raillés par quelques unes et quelques uns, les Muir réussiront à se lier d'amitié avec les enfants de l'école et découvriront que leur différence, loin de les desservir, est en fait un élément positif, soulevant la curiosité et attirant l'attention des autres.

Joli mois d'avrilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant