18. Nom de dragon

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La forteresse du pic était assez confortable, presque accueillante. Lorsque le vent ne soufflait pas en rafales et que le soleil les éclairait c'en devenait presque un endroit où il faisait bon vivre. Xyrus et Allya s'étaient installés dans l'une des ailes inoccupées du château, ils n'y manquaient pas de place. Xyrus pouvait hurler à tout va en chœur avec son fils. Cette activité semblait plaire tant à l'un qu'à l'autre, au grand désarroi d'Allya. Le petit avait à peine quelques semaines mais Xyrus lui trouvait déjà toute une palette d'émotions et de mots. Le dragon avait une imagination débordante. Allya par contre ne se faisait aucune illusion, le petit était heureux ou mécontent. Heureux lorsqu'il mangeait, dormait, était bercé ou prenait un bain de flammes et mécontent le reste du temps. Les deux jeunes n'avaient pas du tout la même vision de l'avenir. A vrai dire Xyrus restait focalisé sur le présent, le futur était sombre, mortel, autant ne pas trop le regarder. En revanche Allya ne pouvait s'en détacher. Dès que le petit serait assez grand elle partirait récupérer l'Equilibrium, en espérant que le chaos ne se soit pas irrémédiablement installé sur leur monde.

La sorcière faisait de longues promenades le long des remparts, son petit dans les bras. Elle observait longuement la mer de nuages aux milles couleurs en songeant à la vie en dessous. Ici ils étaient totalement coupés du monde, isolés au sommet de ce pic. Comme annoncé par l'ancien, personne ne venait jamais dans la forteresse. La sécurité y était donc relative.

Un soir qu'elle revenait dans les appartements qu'ils occupaient, Xyrus interpella Allya. Il existait de nombreuses choses dont ils n'avaient pas discuté ensemble mais une lui paraissait plus importante que les autres. Il prit son petit dans les bras, le bébé se transforma presque automatiquement et réclama du feu. Le dragon se fit un plaisir de cracher un long jet de flammes puis reporta son attention sur la sorcière et lui posa la question fatidique.

— Comment allons-nous l'appeler ?

Allya s'assit sur son lit, le fait d'avoir eu un enfant ensemble de manière fortuite n'avait pas fait d'eux un couple. La jeune femme lui reprochait d'ailleurs encore de l'avoir abandonnée dans cette ville de fous. Certes elle avait des sentiments pour lui, une grande variété d'émotions même, mais ce nombre trop élevé brouillait sa raison et son cœur. Elle ne savait ce qu'elle ressentait à son sujet. Pour le petit c'était facile, elle l'aimait de toutes les fibres de son être, pas besoin de réfléchir. Si elle l'avait pu Allya l'aurait collé contre elle et ne l'aurait plus jamais lâché. Elle avait souvent cherché un nom à lui donner mais aucun d'eux ne lui paraissait assez bien. Le nom de son père lui était également venu à l'esprit mais avec lui les mauvais souvenirs alors elle l'avait d'emblée écarté.

— Je ne sais pas, je voudrais quelque chose de beau, qui inspire le respect.

— On pourrait l'appeler Yorg, déclara Xyrus, comme mon père et beaucoup de mes ancêtres. Ils ont inspiré la peur plus que le respect mais c'est un nom connu dans mon clan.

Allya grimaça et secoua la tête, la seule sonorité du mot lui déplaisait fortement. Cela ne convenait en rien à son bébé. Le petit dormait tranquillement, doucement chauffé par le reste de flammes. En cet instant il ne ressemblait aucunement à ces énormes monstres cracheurs de sang qui faisaient sa famille paternelle.

— Non, cherchons autre chose.

— Tu n'as pas déjà réfléchi à la question ? Tu as eu des mois pour lui trouver un nom...

Elle rétorqua que ces derniers mois avaient été occupés par une lutte pour leur survie contrairement à lui qui avait la belle vie à côté de maman.

— De une la vie avec ma mère est tout sauf une belle vie ! De deux tu n'avais qu'à m'appeler avant.

— Mais je t'ai appelé ! Je t'ai hurlé de venir mais tu n'es jamais paru. J'avais beau prier les dieux aucun ne répondait à mes suppliques en t'envoyant. Et la ville dans laquelle tu m'as lâchée avait renoncé à toute forme de technologie. C'était pire qu'ici.

Il était vrai que les dragons aimaient bien leur petit confort : même sur un pic rocheux isolé ils avaient de l'électricité et l'eau courante. Xyrus eut l'intelligence de se taire, de toute manière il ne gagnerait pas cette joute verbale. Il berça encore un peu son petit puis le coucha dans son berceau placé à côté du lit et alla s'asseoir à côté d'Allya qui posa une main sur son bras et déposa son front contre son épaule.

— Je suis une mère horrible n'est-ce pas ? Pas même capable de trouver un nom pour son bébé.

— Toutes les mères sont horribles un jour ou l'autre.

Cela fit rire la jeune femme qui soupira et porta son attention sur la chambre. C'était une grande pièce, comme toutes les autres, dont les murs étaient ornés de tapisseries représentants des scènes de guerres dragonnes. L'endroit était plutôt effrayant pour qui n'y était pas habitué. La nature virulente des dragons transpirait à travers chaque élément du décor, pas seulement à cause des murs souvent détruits et reconstruits. Son regard s'attarda sur la représentation d'un dragon qui crachait son venin pyrrolique sur un malheureux village. Scène ô combien classique mais toujours si terrible. Pour une raison obscure elle évoqua une dragonne à la jeune femme.

— Comment s'appelle ta mère ?

— Athéna, répondit Xyrus, c'est aussi un nom de déesse, comme toi.

— Je n'ai pas un nom de déesse, mais elle a un joli prénom.

— C'est pour contraster avec son caractère...

Jamais Allya n'aurait osé dire cela de sa propre mère, ni d'aucun de ses parents d'ailleurs mais Xyrus semblait avoir l'une de ces relations compliquées avec elle. La sorcière quitta les murs des yeux pour observer son bébé dormir, il faisait de petits gestes, rêvant à une quelconque aventure. Elle lui envia son innocence, il ignorait tous les dangers qu'il courait, à commencer par sa grand-mère qui le tuerait sans hésitation à leur première rencontre. Il lui parut si fragile et en même temps si fort, alternant sans souci entre ses formes dragonne et humaine. Allya glissa une main caressante le long de son dos avant de remonter la couverture sous ses épaules.

— Athénor, murmura-t-elle avec douceur, cela lui irait bien non ? ajouta Allya à l'attention de son compagnon.

— Cela n'empêchera pas ma mère de le dévorer mais elle prendra bien deux secondes pour me dire que c'était bien tenté. Vendu !   

AllyaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant