Scène 3 : Pénitence, Néo

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[média : Néo]

Les flammes du briquet dansent devant mes yeux un spectacle des plus dangereux. La cigarette qui se penche au dessus s'allume rapidement. Elle rejoint ensuite mes lèvres séchées pour me consumer.

La sensation d'auto-destruction m'électrise. Sûrement juste lier à cette fumée opaque.
Elle inonde petit à petit le cagibi dans lequel je me suis réfugié pour fumer. J'imagine déjà la tête de la vieille dame quand elle va ouvrir la porte pour récupérer son chariot, et découvrir l'odeur de la pièce. J'en rigole d'avance.

J'essaye de changer mes idées. J'espère en vain moins penser à Milan. Le stupéfiant que j'inspire rend mes idées brumeuses, aussi éparpillées que cette odeur de cannabis.
C'est dans ce deux-mètres carrés que je me sens libre, mes yeux se closent.
Je flanche sur le côté droit, posant mon épaule contre le mur blanc. Un vague souvenir se mêle à mon état de stase ; les joues rouges de Milan, ses cheveux relevés, son sourire que j'aperçois au loin. Je me mets seul à rire de bon cœur, laissant le silence partir au loin. Je laisse ma peine faire de même.

Milan, Milan, Milan...
C'est insatiable, il me tue. Je ne suis pas cet homme facilement tourmenté par ses sentiments. Si je pense autant à lui, ça veut bien dire que je l'aime. Allez-vous faire foutre avec vos hésitations avides de sens, à ne jamais savoir ce que vous désirez ; vous ne faites que retarder l'inévitable en perdant votre temps. Et bon Dieu, le temps n'est pas une chose qu'on peut se permettre de gaspiller.
Je m'emporte à nouveau, mais c'est plus fort que moi... Les gens qui prennent leur temps pour un rien, ça me rend fou.

Au final, je ne sais plus à quoi je pensais. Je ne sens même plus le poids de mon corps sur le carrelage froid, entièrement décontracté dans les bras de Morphée.

Une sirène d'alarme me rappelle à la raison, je quitte progressivement mon sommeil alors que les décibels s'intensifient toujours plus dans mes oreilles. J'étire mes membres endolories, lâchant un grognement rauque face à ce son perçant. Cette expérience n'est pas à reproduire à la maison si vous voulez conserver vos tympans.

L'ouïe me semblait être le seul de mes sens agressé, cependant l'odorat vient très vite montré le bout de son nez : Une fumée âcre pétrie mes narines et broie mes poumons. Elle m'étouffe de toute sa noirceur.

De la fumée... quelque chose brûle !  Mes yeux s'illuminent en même temps que cette prise de conscience. Le mégot de mon joint est éteint.

En deux trois mouvements, je me relève et pose ma main sur la poignet en acier. La chaleur qu'elle refoule me fait aussitôt reculer. Je me sens affreusement en danger, mais l'excitation est toujours présente.
Il me faut peu de temps pour planifier ma sortie rocambolesque. J'aligne mes pieds l'un à l'autre, dos au mur. Mon visage se baisse vers l'endroit où je somnolais quelques minutes auparavant puis. Puis dans un élan brouillon, je me mets à courir vers cette porte qui dissimule le chaos. Mes avant-bras heurtent de plein fouet ce bois travaillé, suivis de tout ce qui me compose. Une confrontation destructrice et violente. Le bois se craquelle de çà et là face à mon poids.

Je me retrouve seul et accompagné, de ma solitude et de ces flammes bien trop avancées. Je rencontre avec le reste de la porte le sol du couloir. Il me faut peu de temps pour prendre véritablement conscience de la situation. Mon regard balaye les alentours allumés : l'école est en feu. La couleur des flammes brûlent mes yeux. Que s'est-il passé ?

Je ne peux m'y résoudre, c'est complétement insensé, je dois être en train de rêver. Mon dieu, venez me sauver. Non plutôt, allez-vous faire foutre ! Je dois sortir d'ici, donc restez sagement bible à la main, profitez du barbecue humain. Au moment précis où cette pensée m'effleure l'esprit, une personne traverse le couloir, poursuivie par une aura ardente. Elle est flambante, brûlante, étincelante, lumineuse, impossible à secourir. Je détourne le regard pour m'orienter vers la sortie la plus proche ; les escaliers. Je dois rejoindre le rez-de-chaussée. Mon adrénaline entraîne mes muscles dans une course folle. Je ne veux pas perdre la vie dans ce foutu incendie. Ma démarche est fougueuse, étouffée par cette fumée oppressante. Le bâtiment est plongé dans l'ombre d'un brasier. Mes iris se consument à petit feu, les larmes qui en découlent s'assèchent sur mes joues salies.

Je trébuche lorsqu'une vitre explose à proximité. Néanmoins, ma détermination n'est pas si facile à atténuer : Ne jamais s'arrêter.

C'est ce que je me suis dicté, simple instinct de survie j'imagine. Les volutes rouges continuent d'embraser les murs de l'école. La température frôle sa limite. Non loin de moi, j'aperçois la porte de sécurité qui mène aux escaliers. Je me sens aussitôt délivré à la simple vue de cette échappatoire. La sérénité englobant mon état d'esprit, j'avance prudemment jusqu'à ce que les fondations des murs, et particulièrement du plancher, se mettent à frémir redoutablement. Une fraction de seconde suffit pour que la plate-forme s'effondre, moi avec. J'essaie de m'attacher à un objet pour ne pas glisser sur le toboggan diabolique qui s'est formé. En vain, je chute.

Je rencontre dans une violence inqualifiable des débris et de la poussière deux mètres plus bas. Ma tête bourdonne autant qu'un nid d'abeilles. Après cette chute, j'ai l'impression d'avoir tout perdu ; mon corps, mes muscles, ma vue, ma voix, mes larmes, tout s'est effondré avec l'école.Scène démesurée, je baigne dans les vapes, au milieu de ce bouleversement ravageur.

Je devine être au rez-de-chaussée, j'ai peut-être une chance d'être secouru. En dépit d'une certaine douleur provenant de mon genou droit, je parviens à me retourner pour faire face au plafonnier anéanti. Je perçois vaguement les derniers fourbis du sol tomber ; quelques feuilles sont torréfiés avant même de m'atteindre, des morcellements en tout genre se perdent dans cet enfer, calcinés ou roussis par la chaleur des lieux.

Ce n'est pas ma fin, je m'appuie sur mes coudes pour me redresser sans imaginer une seule seconde qu'un morceau de carrelage heurterait accidentellement ma tête.

- Milan... soufflé-je avant de fermer les yeux.

Sleeping Naughty #OVEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant