Une fois ma pomme finie, je me levais pour prendre mon sac et appelais Marco, aujourd'hui c'était Paolo qui servait de chauffeur et il détestait être en retard le jour de la rentrée. On quitta l'appart sans rien dire et on descendit les escaliers toujours dans ce silence. Une fois en bas, après avoir dû pousser la porte d'entrée tellement sale que quand on la touchait on avait les doigts collants, le pick up gris rouillé de il nostro amico apparut. Comme d'habitude, toute notre bande de potes étaient assis à six à l'intérieur, et nous allions devoir nous mettre derrière, dans le coffre. Tous nos amis étaient italiens. Fallait dire qu'ici, à Ploucville, soit tu traînais avec les snobs, soit tu trainais avec les gangs, soit tu trainais avec les ritals. Y avait pas d'autres choix. Et comme on était italien, notre bande était définie d'office. Quoique souvent, les gens nous confondaient avec les mecs des gangs, parce qu'on était tous pauvres et qu'on se battait souvent, sauf que y avait une putain de grande différence : les gangs trafiquaient et pratiquaient pleins d'autres trucs illégaux, pas nous. On était juste des paumés complets qui se laissaient pas marcher sur les pieds, pas des criminels. À cette dernière pensée je ne pus m'empêcher de tiquer, j'avais oublié une catégorie : il y avait une partie de notre famiglia qui faisait des trucs pas nets. Une partie que je connaissais et que je devais maintenant éviter. Une partie que j'avais abandonnée en comprenant la réelle nature de leurs actes, quelques semaines plus tôt. Une partie qui regroupait quelques uns de mes potes présents dans cette voiture. Et si mon fratello apprenait un jour ce qu'était cette partie, ce qu'on y faisait, et ma participation au délire, je signerai mon arrêt de mort. Comme pour me rappeler que justement je devais me montrer vraiment prudent et que je ne devais pas me laisser embrigader une nouvelle fois, je sentis le regard pesant de Paolo sur moi. Je ne relevai pas, s'il voulait me faire revenir, il perdait son temps ce stronzo, il ne savait pas quel problème m'avait fait vraiment déserter cette bande de malheur : il avait avalé les conneries que j'avais servies au reste du groupe. Je secouai la tête pour m'éclaircir les idées et brûler une bonne fois pour toute ces souvenirs merdiques de ma mémoire.

Le moteur gronda tandis que nous montions dans l'auto, prenant la couverture roulée en boule par terre et nous couvrant avec. Quand ça roulait et qu'on était à l'extérieur, on se les gelait. À peine nous avions fini de nous installer que nous foncions déjà vers le lycée. Comme ici il n'y avait que des sentiers, la voiture ne cessait de tressauter ce qui nous tuait le cul. Avant, on avait des coussins mais on se les était fait voler et personne ne pouvait se permettre de gâcher de l'argent juste pour les racheter. Alors on se contentait de subir sans se plaindre, même si c'était molto doloroso. Les arbres défilaient le long de notre chemin et je les fixais, rêvant de les quitter à tout jamais, eux, et cette ville miteuse perdue au milieu des montagnes de l'Oregon.

Le véhicule accéléra et je jurais intérieurement après m'être cogné le coccyx assez violemment. Marco se tourna vers moi et me lança un regard du style : « te plains pas, y a pire dans la vie ». C'était le genre de mec à toujours tout prendre au sérieux, sans jamais se laisser aller. Contrairement à moi, il se battait jamais, s'entendait avec tout le monde et ne baisait qu'avec une seule et même ragazza. On s'était souvent prit la tête pour ça : il voulait que j'arrête de foutre la merda, je voulais qu'il se lâche. Il voulait que je respecte les filles, je voulais qu'il se décoince et qu'il largue l'autre conne qui débordait de niaiserie. Le couple de mon frère était solide, quand il était avec la sua fidanzata, il était toujours chiant à souhait, perdant tout humour et refusant de blaguer avec nous, « les pauvres mecs ». Cette Rachel, fausse blonde écervelée qui allumait tous les mecs mais qui restait tout de même fidèle à mon sang, je pouvais pas la blairer. Je savais pas pourquoi mais les voir ensemble me gonflait, ils étaient romantici et ça me filait la gerbe. Lorsqu'on arriva devant le lycée défraîchi, mio fratello sauta hors de la voiture pour foncer vers le bâtiment scolaire, téléphone vissé à l'oreille – sûrement avec cette chieuse de bambina.

Un regard vaut mille motsWhere stories live. Discover now