- Je suis costaud, dit-il. Je ne m'y connais pas beaucoup en réparation de voitures, mais j'aidais mon oncle à entretenir sa Coccinelle. Ça, qu'il soit costaud, je voulais bien le croire : les loups-garous sont connus pour ça. Depuis que j'avais senti cette odeur si particulière de musc et de menthe, je ressentais le besoin instinctif de le chasser de mon territoire. Cependant, n'étant pas un loup-garou, je suis capable de maîtriser mes instincts, et de ne pas me laisser dominer par eux. Évidemment, ce pauvre gamin qui grelottait dans l'humidité de novembre déclenchait aussi chez moi d'autres instincts, plus profonds... J'avais pour principe de respecter la loi. Je conduis sous la limite de vitesse, mes voitures sont toutes en règle questions assurance, et je paie même un peu trop d'impôts. Il m'est parfois arrivé de donner un ou deux billets de vingt dollars à des gens qui en avaient besoin, mais jamais je n'ai embauché quiconque ne pouvait apparaître dans ma comptabilité. Le fait qu'il soit loup-garou, et un jeune si je ne trompais pas, n'aidait pas non plus : les garous récents ont encore moins de prise sur leur loup que les autres.


Il n'avait fait aucun commentairesur mon corps frêle et maigre mécano, ça n'était pas habituel.Bien sûr, il devait avoir pris le temps de m'observer et de sefamiliariser avec ça, mais tout de même, il avait réussi à nerien dire, et ça, c'était un bon point pour lui. Mais pas assez bonpour ce que je m'apprêtais à faire. Il se frotta les mains etsouffla sur ses doigts rougis par le froid pour les réchauffer.

- Bon, on va voir ce qu'on peut faire, dis-je doucement.



Ça n'était pas la plusraisonnable des réponses, mais c'était la seule que je pouvais luidonner en le voyant ainsi agité de longs frissons.

- Il y a une buanderie et une douche derrière cette porte, repris-je en désignant l'arrière-boutique. Mon ancien assistant a laissé quelques bleus de travail sur les patères. Tu peux prendre une douche, laver tes fringues et en enfiler un en attendant que ça sèche. Il y a un sandwich au jambon et du soda dans le frigo. Déjeune, et reviens me voir quand tu seras prêt. J'insistai particulièrement sur le « déjeune » : il était hors de question que je travaille avec un loup-garou affamé à moins de deux semaines de la pleine lune. La plupart des gens vous diront que les loups-garous ne peuvent se métamorphoser qu'à la pleine lune, mais, d'un autre côté, ils vous diront aussi que les fantômes n'existent pas.


Le garçon sentit mon tonimpérieux et se raidit, m'interrogeant du regard. Puis il marmonnaun « merci » et partit vers l'arrière boutique, fermant doucementla porte derrière lui. Je laissai échapper un soupir desoulagement. Je savais qu'il était délicat de donner des ordres àun loup-garou – à cause de toutes ces histoires de dominance. Lesinstincts des loups-garous sont assez malcommodes. C'est pour celaqu'ils ne vivent pas vieux, généralement. Ce sont les mêmesinstincts qui ont causé la défaite de leurs frères sauvages face àla civilisation, alors que les coyotes abondent, même dans les zonesurbaines comme Los Angeles.


Les coyotes sont mes frères. Non,je ne suis pas un coyote-garou, je ne pense même pas que celaexiste. Je suis ce qu'on appelle un « changeur ».


Le terme vient de la « changeusede peau », une sorcière des tribus du sud-ouest des États-Unis,qui utilise une peau d'animal pour se transformer en coyote ou entout autre animal et pour répandre la maladie et la mort dans lestribus ennemies. Les colons blancs ont adopté le terme de manièreabusive pour qualifier tous les métamorphes natifs d'Amériques duNord, et le nom est resté.

Nous ne sommes pas en position deprotester contre ce terme inadapté, bien que, comme les autres faesinférieurs, nous ayons fait notre coming-out. Nous ne sommessimplement pas assez nombreux pour que quelqu'un en ait quoi que cesoit à faire. Je ne pense pas que le gamin ait su ce que j'étais,sinon, il aurait été incapable de me tourner le dos, à moi, unautre prédateur, pour aller se doucher dans l'arrière-boutique. Lesloups ont généralement un odorat très développé, mais le garageétait saturé d'odeurs plus prégnantes, et je doutais qu'il eût jamais senti quelqu'un comme moi de sa vie.

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⏰ Last updated: Jan 30, 2016 ⏰

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L'appel de la lune - LARRYWhere stories live. Discover now