Plus qu'un pot de fleur, je suis un simple vase.

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Assise sur le béton froid de ce qui semblait être le sol d'une église, je fixai avec intérêt les vitraux qui étincelaient de mille feux juste au dessus de moi. Je repérai rapidement la forme que m'avait indiqué Mikaël : un aigle était dessiné dans les morceaux de verre rougeâtres dans le deuxième vitrail en partant de la gauche. J'inspirai longuement. J'avais réussis. J'étais retournée dans le passé. Enfin...je crois. J'étais au moins au bon endroit, restait à découvrir si j'étais effectivement dans le passé et surtout au bon moment.

Je me redressai lentement, sans même me plaindre de l'atterrissage lourd qu'avait subit mon arrière train. Après tout, il était habitué, à quoi bon se lamenter sur son sort ? J'essayai de me détendre en me concentrant sur une autre chose que ce qui allait probablement se dérouler sous mes yeux, dans quelques minutes. J'allais assister à la mort d'Eleonora. A la mort de ma mère. Je n'étais pas persuadée de pouvoir le supporter, encore moins de le voir sans réagir mais il fallait que je le fasse. Il fallait que je le fasse pour comprendre tout ce qui déroulait autour de moi depuis l'instant même où Eleonora était morte.

Mais alors que j'avançai prudemment dans l'immense église, cherchant du regard un endroit où me cacher, je me stoppais nette. Mikaël avait été claire : l'heure de la mort avait été pronostiquée à minuit pile le 11 Décembre 1860, une mort rapide et apparemment sans altercation. J'avais donc choisi de revenir plusieurs heures avant les événements qui avait conduit à cette mort, préférant être prudente sur l'idée de rencontrer qui que ce soit. Je savais que je ne devais pas être vu, et ceux sous aucun prétexte. C'était pourquoi je ne compris pas. Je ne compris pas ce qu'elle faisait là.

Assise sur un des bancs, ses longs cheveux bruns trahissaient son identité. Je n'avais pas besoin de voir son visage pour savoir qui elle était. Eleonora. Eleonora se tenait assise à quelque pas de moi, les mains posées sur ses genoux et le visage d'un calme serein presque inquiétant. L'auréole douce de la lune éclairait, à travers une large fenêtre sans teint, sa peau laiteuse, bien plus pâle que celle de ma mère. Pourtant elles se ressemblaient comme deux goûtes d'eau. Au coin de l'œil d'Eleonora je remarquai un grain de beauté identique à celui que j'avais toujours vu chez ma mère et dans son profil longiligne je retrouvai ses traits gracieux et féminins. Je serrai vivement les mains, hésitante face à l'envie de me rapprocher de celle que je ne pouvais voir que comme ma mère.

Légère et avec grâce, Eleonora se redressa. Je reculai aussitôt, tétanisée à l'idée que ce retour en arrière me coûte très chère. Elle ne devait pas me voir. Cela pouvait engendrée bien trop de bouleversement. Si nous nous mettions à discuter, parviendrai-je à ne pas la mettre en garde face à ce qui allait se produire ici même dans quelques heures ? Je doutai de mes propres capacités à faire ce qui était juste. On ne change pas le passé. Si je le faisais, peut-être que je ne viendrais même pas à naître.

Mais toute pensée se volatilisa quand elle posa ses yeux émeraudes dans les miens, d'une couleur semblable. Elle me contempla avec une douceur qui me rappela un peu trop le regard tendre et aimant de ma mère. Comment fuir quelqu'un qui est vôtre mère ? Je me mordillai l'intérieur de la joue mais ne fuyais plus, trop envoûtée par son regard posé sur moi. Son calme transperçait, irradiait et la rendait encore plus majestueuse qu'elle ne l'était déjà. Et il était trop tard. Ses lèvres s'entrouvrirent et sa voix résonna dans l'église comme un glas inévitable :

- Bonjour Keylinda.

J'ouvris la bouche, puis la refermai. Comment connaissait-elle mon nom ? Un sourire malicieux se faufila sur ses lèvres et elle se détourna tout aussi mystérieusement. Son dos était frêle, sa taille était mince. Elle avait tout d'une jeune femme soignée dans son élégante robe blanche et marron qui lui allait à la perfection. Je la contemplai avec une admiration que je ne parvins pas à dissimuler. Mon esprit était un amas de brouillon, de question, de pensée que je ne parvins pas, moi-même, à comprendre. Elle connaissait mon nom. Mes jambes flageolèrent tant je me sentis perdu. Qu'est-ce que je faisais ici ? Tout ça n'avait aucun sens.

Water Lily : l'éclosion.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant