Saint Jean le Baptiste.

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Pour accès, juste un passage caladé, pas de parvis à l'église trapue, ancrée sur sa terre battue, nourrie de cadavres, étouffée de tombes et de croix ansées. Les vagues serrées des stèles hérissées semblent monter à l'assaut du porche polychrome dont les torchères de part et d'autre sentent le souffre bien plus que la résine.

Goliard hésite avant de traverser ce champ stérile consacré à la mort. De jour comme de nuit, il a froid dans ce jardin macabre. Il tremble sous le regard des images de pierre. Il tremble sous le tympan du jugement dernier.

Courant sur la voûte, les diables rouges et or, farouches et grimaçants de joie mauvaise, canalisent à la fourche des hordes de damnés décharnés et nus vers les brasiers et les marmites qui les attendent et il ne peut se retenir d'y chercher son ombre capuchonnée dans la gueule béante du Léviathan figurant l'entrée des Enfers.

Allons ! S'il suffisait de pousser la lourde porte massive de châtaignier bardée de plaques de bronze sculptées de figures pour échapper aux tourmenteurs et intégrer la représentation du paradis sur terre, pour se retrouver dans la communauté des hommes, dans la chaleur odorante de l'encens, la douce lumière des cierges, des chandelles et des lumignons de la maison de Dieu, toute fleurie et ornée de représentations bibliques aux couleurs divines : le blanc de la pureté et le bleu des cieux...

Il a conscience d'avoir, cette nuit, sauvé cet ordre là qu'il exècre. Alors, pour une fois, il entre, discrètement.

Le tambour est encombré d'armes de toutes sortes, dressées le long des murs. Il caresse du bout des doigts le long arc de Scribote...

Comme un rappel à l'ordre du porche menaçant, l'accueil est assuré par la statue grimaçante d'Asmodée, le gardien des trésors : un vilain diable rouge en bois, contorsionné, terrifiant s'il n'était écrasé et vaincu par le poids du bénitier de pierre qu'il supporte sur son dos et qui le courbe jusqu'à terre.

Le troupeau des ouailles, visages tendus vers l'autel, lui tourne le dos et Goliard en profite pour éviter le bénitier et oublier génuflexion et signe de croix. Il remonte le transept droit et se cale debout, derrière un pilier doré, d'où il peut à loisir détailler l'assistance.

Les notables tiennent le haut de la nef. Les pénitents bleus, blancs et violets occupent les stalles avec ostentation, les têtes raides et les fesses calées sur leurs miséricordes de bois sculpté. Le petit peuple bêlant s'entasse dans le fond.

Serrés on a moins peur, des loups et des chasseurs.

Dans le chœur, il retrouve sans difficulté la longue chemise blanche et les singuliers cheveux dorés sous ces latitudes de la jeune veuve derrière son prie-Dieu.

Il s'avance de deux colonnes pour l'observer de trois quarts. Elle chante sa foi. La lumière des chandelles la nimbe et l'auréole.

Il pourrait l'observer pendant des heures sans jamais accrocher son regard. Elle ne regarde pas les hommes, encore moins un invisible comme lui. Elle est veuve, vit en Dieu et ordonne castel et maison.

La ferveur de ses frères humains l'enveloppe. Il est tenté par ce simulacre de douceur et de communion et il s'en défend. Il connaît trop bien cette fascination. Il a envie de se dissoudre dans cette communauté ordonnée. Il est toujours incité, en ce lieu, à baisser les bras, à s'abandonner à l'hébétude des simples, à renoncer à son orgueil, à sa quête de vaine sapience, mais il résiste, il s'arrache aux litanies hypnotiques, refuse la béatitude morbide, recule, sort.

La nuit l'attend, les démons et leurs damnés de pierre, la mort omniprésente, les feux follets et la solitude de l'éveillé.


Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant