Total Festum.

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Tout a changé sur le rivage, de grandes dispositions ont été prises pour le festum.

Les femmes ont planté des torches et allumé trois grands feux de braises rougeoyantes. Elles tournent les grandes broches garnies de deux porcs et d'un bœuf enduits d'un savoureux sirop de miel et d'huile d'olive. L'ensemble caramélise doucement et embaume alentour.

Oublieux des sermons, tous salivent devant la perspective de ces ripailles géantes.

Le curé et la Scribote s'éclipsent devant la bacchanale qui s'annonce ; le bayle et le viguier les suivent, de loin, à regret.

Hormis les trois superbes ribaudes de la Traoucada fardées et à visage découvert, toutes les femmes sont masquées et déguisées. Sous leurs masques de cuir repoussé, de paille, de feuilles et leurs oripeaux, elles sont libres de se déchaîner toute la nuit sous couvert de l'anonymat.

Pour le coup, toutes classes confondues et mêlées, la mescladissa sauvage peut faire hurler les corps, se frotter et ripailler sans hiérarchie ni retenue dans une orgie libératoire.

Les pierreuses trop misérables pour les fards et les mascarades ont découpé leur guenille, laissant au jour leurs fesses, les pointes de leurs seins... Une façon explicite de proposer leur marchandise.

Les matrones ont cuit des tourtes, et en guise d'écuelles, découpent des tranchoirs, de grandes tranches de pain rassis destinées à recevoir les viandes rôties.

La Traoucada, plus deux jeunes et athlétiques serveurs, torse et pieds nus, qu'elle a recrutés pour l'occasion, installent une taverne volante : un plateau de bois sur trois barriques vides et un toit de toile par-dessus. Son inévitable marmite de soupe populaire à petit feu sur un trépied attend les sans-dents infoutus de mâcher le pain coriace et les barbaques braisées.

Par derrière l'étal, une charrette à bras chargée de trois grandes futailles en perce où les garçons pourront au moyen de robinets de bois emplir cruches et pichets.

Relégués les fifres, quatre grands tambours, deux vielles à roue et un aboyeur donnent le rythme au sabbat qui s'annonce dans les yeux fiévreux de la fémeline. Elles ont couché leur marmaille, confinée dans le bourg et confiée aux vieillardes, ou à la grâce de Dieu.

Devant l'appétit et la détermination de leurs femelles, les mâles ont tôt fait de s'incorporer à cette folie inéluctable qui enfle comme une marée montante.

Sous la longue tente, sombre grotte vide dans l'instant, on a jonché le sol de paille, de feuilles et de branchages. En son centre, un lit sur échasses trône comme une estrade, en attente...

Perché sur les barriques du char à vin, Goliard contemple le manège et scrute cette humanité d'un œil indulgent et ravi. Il préfère ces rebelles imprévisibles aux moutons soumis, aux tondus coutumiers. Il est particulièrement curieux des égéries qui semblent mener la danse et il essaie de les deviner sous leurs masques et artifices. Une, surtout, remarquable, retient son attention ; à coup sûr il la connaît, les cheveux retenus sous des foulards mais quelque chose dans l'allure...

Les hommes aussi sont autres, redressés, tête haute et corps libres, ils ont à cœur de faire au moins jeu égal. Déjà, à la périphérie du festum, les plus exubérants miment des accouplements grotesques, attouchent et pressent les pierreuses ravies.

En musique et en rythme, des farandoles naissent et se disloquent. Ils se touchent, s'agrippent, s'étreignent et se repoussent.

Dans la lueur des torches incendiant les visages tendus, tous finissent par s'attabler et dévorer la chair odorante des rôts.

Le Goliard et la ScriboteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant