Chapitre 4 : La fuite

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Si froid. Si calme. L'air brûle ses poumons. Un sanglot monte dans sa gorge. Des larmes lui échappent. Ses yeux n'osent se retourner. Ils cherchent une âme, désespérés, prêts à tout lâcher, à l'abandonner, ce misérable corps, ici et maintenant.

Ses jambes chancellent.

- Reviens Era !

Akim. Lui aussi cherche la nuit. Elle l'entend de l'autre côté de la toile. Elle l'entend s'approcher à chaque pas. Elle entend le cri de la terreur qui l'étreint. Ses pieds l'éloignent.

Elle renifle. Elle court.

Elle pleure. Elle court.

Elle trébuche. Elle se relève. Elle court.

Le vent frappe ses bras nus. Il tape dans le creux de son dos, tente de libérer quelques ailes prisonnières sous la peau fine. En vain. Rien ne se déploie, elle n'est qu'une humaine se battant contre elle-même. Contre les éléments. Contre le noir de la nuit.

Il semble que la place du village est devenu un désert immense, les larmes rendent sa vue floue. Elle ne retrouve pas le chemin de sa maison. Aucune porte ne s'ouvre pour l'aider. Ils l'abandonnent.

- Era !

La voix lui est inconnue. Elle est claire, chantante comme des carillons. Elle a peur.

- Era, vite !

Une main s'empare de son bras, la tire, la pousse. Elle se laisse faire, entrainée ainsi jusqu'à une carriole. Sa sauveuse l'aide à grimper à l'arrière, tandis que les chevaux s'ébranlent et quittent le village, dont les portes sont grandes ouvertes. Personne n'a pris la peine de les fermer. Ou bien une âme clémente l'a fait pour eux.

Le visage plaqué contre le bois, la brune reste recroquevillée, sonnée par les événements. Elle n'entend pas les gémissements qui s'élève à ses côtés, ni la panique dans la discussion que mènent à côté ce qu'elle reconnait comme deux artistes du cirque. Celle qui l'a sauvée est là. Ses longs cheveux blonds attachés en tresse retombent mollement dans son cou. Son visage est illuminé par deux grands yeux clairs, profonds comme des lacs.

Un ange.

Pan.

Pan.

Deux balles traversent tour à tour la bâche qui les cache.

Pan.

Cette fois, c'est le conducteur qui est visé. Personne ne cri. Seuls les gémissements restent. La route se fait difficile. Elle comprend alors qu'ils sont dans les bois. Ses doigts s'accrochent, puis finalement, elle ose retourner la tête. Son œil noisette surprend l'incendie qui dévore le chapiteau, l'illusion de la joie.

- Era ?

On l'arrache à sa contemplation.

- Tu es blessée ? Il y a du sang sur tes vêtements.

Elle secoue la tête et porte son regard sur le jeune homme étendu. C'est l'un des voltigeurs.

- Ca va aller Medis...

La jeune fille à ses côtés a pris sa tête sur ses genoux et le berce tendrement. Malgré l'obscurité, Era devine les larmes qui coulent sur ses joues. Aucunes ne cherchent à lui venir en aide.

Il est déjà perdu.

- Ca va aller...

La blonde se lève alors. Elle écarte en grand la bâche, les expose tous aux yeux de la nuit. Plus personne ne les poursuit. Elle s'accroche fermement au bord et chante.

Non.

Elle crie.

Elle crie sa haine contre les guerres, celles qui l'ont chassée de chez elle. Elle crie contre celles qui ont tués ses amis. Elle crie contre celles qu'elle a fuies et qui la poursuive jusqu'ici, dans ces contrées de paix où l'on sème la mort.

Elle chante.

Elle chante son envie de vivre. Elle chante comme d'autres prient, espère à Medis un monde meilleur. Elle chante pour le futur. Elle chante en espérant que là-bas, au village, on l'écoute et que fasse à leur haine, ses mots combattent au nom de l'amour.

Elle pleure.

Sa voix, si pure, si grande, s'éteint d'un coup et le corps courageux dressé entre la charrette et le monde s'effondre. Tous les carillons cessent.

Il ne reste que des sanglots.    



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⏰ Dernière mise à jour : Dec 31, 2015 ⏰

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