Chapitre 10

Depuis le début
                                    

Je prends cependant quelques secondes pour réfléchir à cette dernière : la question le mérite. C'est vrai, mes goûts sont différents de ceux du grand public, je l'avais déjà remarqué. Dans la solitude de mon bunker, j'aime me plonger dans de longues aventures livresques, suivre la vie des personnages de semaine en semaine, de mois en mois, d'année en année : avec eux, j'expérimente des situations que je ne connaîtrai jamais, prisonnière que je suis. Zapper d'histoire en histoire ne m'intéresse pas : je passerais de l'une à l'autre jusqu'à l'écœurement.

Je ne peux pas dire tout cela au jeune journaliste, bien évidemment, mais j'essaye d'être aussi sincère que possible dans ma réponse :

« Non, ce n'était pas conscient, mais votre observation ne m'étonne pas : ce sont effectivement ce genre d'œuvres que je préfère, à titre personnel. Mais l'attachement aux traditions littéraires et la puissance réflexive que l'on trouve dans ces romans me semble également un beau reflet de l'image qu'en tant que princesse du Royaume-Uni, je souhaite donner de la couronne. »

Le journaliste lève immédiatement la main pour poser une nouvelle question. On voit bien qu'il est nouveau dans le milieu : habituellement, en conférence de presse, chaque invité ne peut intervenir qu'une fois, dans le meilleur des cas. Il devrait déjà s'estimer heureux d'avoir pu exprimer une interrogation...

Cependant, c'est la première question intéressante qui m'a été posée aujourd'hui, et après tout, c'est moi qui suis la maîtresse de l'événement. Alors que l'employé chargé de faire circuler le micro de journaliste en journaliste tend le bras pour le reprendre des mains du jeune homme, je fais signe à ce dernier de poser sa deuxième question, ce qu'il s'empresse de faire :

« A quoi ressemblerait le roman idéal selon vous ? De quoi parlerait-il ?

- C'est une question délicate, monsieur...

- Combs. Alexander Combs.

- Monsieur Combs. Certes, je sais que certains thèmes, certaines manières d'écrire me touchent particulièrement en littérature. Mais dois-je pour autant établir un portrait-robot d'une œuvre idéale ? Je ne crois pas. Car je n'aurais plus aucune surprise en le découvrant. Ou alors, je l'écrirais moi-même.

- Vous vous êtes donc déjà essayée à l'écriture ?

- Cela m'est arrivé, oui. »

Murmure parmi les journalistes. Ils flairent un scoop : jamais la princesse Margaret n'avait mentionné cette occupation devant eux. Voulant sûrement être le premier sur le coup et fidèle à son attitude grossière habituelle, Murray White, assis à côté d'Alexander, arrache le micro des mains de ce dernier et me demande :

« Votre Altesse... »

Il prononce mon titre sur un ton obséquieux, voulant probablement insister par là sur le fait qu'Alexander l'a omis dans ses dernières interventions. Ce qui m'est totalement indifférent : je préférais largement notre conversation plus libre à l'attitude guindée qui est observée autour de la princesse de manière générale.

« ... nous feriez-vous l'honneur de nous dévoiler un texte de votre main ? »

Si Alexander m'avait posé la question, j'aurais peut-être accepté. Mais je ne suis pas assez sûre de moi pour livrer mes écrits au regard porcin d'un Murray White. Je me sors donc de la situation par une pirouette :

« En temps voulu... En attendant, permettez-moi de vous présenter un autre genre de composition de ma part : la liste des jurés du Prix Royal de Littérature ! »

Je m'éclaircis la gorge. Le moment que tous ces journalistes attendent est arrivé. Ils espèrent tous le privilège d'être distingués par la couronne à l'occasion du Prix, de se mettre en avant et d'avoir un accès direct à la princesse pendant plusieurs semaines.

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