Basculement

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Je suis sortie de notre cachette. Ma soeur avait reçu l'ordre d'y rester pendant que j'allais chercher de quoi manger. Seulement c'était l'hiver, les fruits n'étaient plus, le gibier hibernait. Alors, inquiète et à contrecoeur, je m'éloignai. Mes pas me dirigèrent inconsciemment vers un petit village. Dés que je m'en fus approchée, j'éprouvai une sorte de gêne. Je ne mis pas longtemps à en comprendre la cause : habillée comme une mendiante au millieu de tous ces gens qui faisaient leur marché, je n'étais pas à ma place. Et puis je me rendai compte que je ne m'était jamais trouvée aussi loin de ma soeur. Paniquée, je rentrai en courant vers notre cachette.

Elle était toujours là. Un énorme poids se souleva de ma poitrine. Ses deux yeux interrogateurs s'étaient posés sur moi avant de se refermer pour la plonger à nouveau dans le sommeil qu'elle venait de quitter.

Les jours passèrent. De temps en temps je retournais au village, mais sans oser m'aventurer trop loin.
Et puis, après plusieurs semaines de reconnaissance, je pris à deux mains le peu de courage et de force qu'il me restait et marchai jusqu'au coeur du village. Sur la place centrale se tenait un marché. Les commerçants scandaient à qui mieux-mieux la supériorité de leurs produits. La cacophonie générale me rappelai les jours où nous nous promenions entre les échoppes, moi, mes parents et ma soeur. C'était avant... Mais ce n'était pas le moment de m'apitoyer sur mon sort.  Je ravalai ma douleur et m'approchai. De tonnes de parfums emplirent l'air alentours. L'odeur acidulée des agrumes dansait avec celle des marrons, accompagnée de quelques fragrances moins identifiables aux notes sucrées. Je m'en ennivrai. Poussée par l'envie, j'avançai encore. Les échoppes colorées m'entourèrent bientôt, les odeurs devinrent plus marquées, le bruit presque compact tant il était présent. Plus rien n'existait en dehors de ce rêve éveillé emplit de sensations. Je me laissai porter par la foule. Ma procession s'arrêta devant l'échoppe d'un marchand de fruits. Leur rondeur parfaite m'ebloui. Je repensai à ma soeur. Elle adorait les fruits. La dernière fois qu'elle en avait mangé s'était en été, nous avions eu la chance de nous retrouver dans un verger débordant. Nous n'avions pris qu'un fruit par arbre, pour que cela ne se remarque pas. Nous nous étions régalées. Et les fruits de cette échoppe y ressemblaient beaucoup. Alors tout alla très vite. Les passants trop occupés, le marchand absent. J'en pris un poignée et me mis à courir. Ma respiration saccadée coïncidait avec les bruits de
pas que je ne tardai pas à entendre derrière moi. J'accelerai. J'arriva à notre cachette en ayant semé mon poursuivant et m'y engouffra. Ma soeur s'éveilla. Sans préambule, je lui fourrai les fruits entre les mains, lui déposai un baiser sur le front et lui dis qu'elle ne devait pas s'inquieter, que l'on allait m'emmener mais qu'elle devrait rester cachée. Elle acquiessa. Je sortis hâtivement et m'éloignai autant que je le pus. Quand le marchand furieux, accompagné des forces de l'ordre, m'attrapait, je n'opposai aucune résistance. Mes seules pensées étaient tournées vers ma soeur. Qu'allait-elle devenir?

JinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant