Style: C'est quoi le rythme (2/2)

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... Suite de la partie 1

Clef 1: Trouver le juste équilibre

On a vu les différents modes de narration (exposition, narration dramatique, dialogue, description sensorielle et flux de pensées). J'avais tendance à croire que l'on peut se passer des deux extrémités: l'exposition distante et les pensées intimes des personnages. Mais après des critiques violentes de mes relecteurs, j'ai compris que c'était faux!

Les descriptions, par exemple, permettent de fixer le monde dans l'esprit du lecteur. Il faut toujours un minimum de descriptions avant des dialogues ou une action, même si elle est parcimonieuse et habilement dissimulée. Le lecteur a de l'imagination, certes, mais il a besoin de quelques petits détails bien choisis pour voir naître un décor ou un personnage devant lui. Bien que je n'écrive pas à la première personne, j'ai tendance à voir le monde par les yeux de mon héros. S'il se contrefout d'un objet, je ne vois pas l'intérêt de le décrire. J'ai aussi tendance à utiliser ses mots, même si c'est de l'argot. On me le reproche souvent. De mon côté, je ne supporte pas les mots tarabiscotés mis devant les yeux d'une ado de 15 ans. Chacun ses goûts! Je vous renvoie ici sur les conseils de Stephen King, dans (mon maître à penser ^^).

L'exposition aussi a son importance. Si on zappe totalement ce mode de narration et qu'on "montre" tout, un petit roman prévu à 60kmots devient à la fin un roman fleuve de 150kmots, une plaie à corriger et surtout une plaie à lire (vécu!). Le lecteur, essoufflé, lassé, ne finira pas le livre. Il faut donc savoir quand poser la caméra et prendre la plume pour narrer tranquillement. On choisit les scènes clefs à montrer et à disséminer le long de l'histoire pour faire naître les émotions souhaitées. Si l'on suit l'exemple de notre petit berger, après cette scène « montrée » pour donner le ton, on peut résumer le reste du voyage et accélérer le temps avec de l'exposition puis peu à peu revenir dans la description et enfin dans l'action pour entamer une nouvelle scène choc. Par exemple, le moment où il affrontera les flammes du dragon ou lorsqu'il devra choisir entre se sacrifier pour sauver le village où fuir face au dragon.

Enfin, si on écrit un texte avec uniquement de l'action, des dialogues et des descriptions sensorielles, il en ressort une impression d'immédiateté et de frénésie. Le personnage et le lecteur enchaînent actions et sensations et n'ont jamais le temps de souffler et d'intégrer ce qu'ils viennent d'expérimenter. Le flux de conscience permet, lui, d'entrer dans la tête du personnage ou de voir par ses yeux. C'est un moment très important après une séquence clef. Que ressent l'héroïne après le baiser fougueux du prince? Que pense le héros en contemplant le cadavre de son pire ennemi à ses pieds? (quoi, mes exemples sont sexistes? :p). Le flux de conscience laisse au lecteur le temps de se reposer les yeux et de tourner son esprit vers son propre cœur. « Qu'a-t-il ressenti ? » « Qu'a-t-il retenu?».

D'un point de vue personnel, je mettrais un gros bémol à l'utilisation du flux de pensée: "jamais pendant l'action!" Je lis souvent des textes où l'action est entrecoupée de digressions, comme si le héros était un enfant hyperactif incapable de se concentrer. Voici l'effet que ça me fait:

Ex. "L'indien encocha sa flèche. C'était une flèche de bois de hêtre telle que son père avait l'habitude d'en utiliser pour confectionner des cannes à pêche, souples et résistantes."

Et il est mort, le cow-boy! Il en a oublié d'esquiver la flèche ^^. Autre chose qui me hérisse le poil, c'est le syndrome « Chevaliers du Zodiaque ».

Ex. "L'indien encocha sa flèche. Mais au moment de tirer, il dit:
– Les visages pâles n'ont pas compris que ces terres étaient à nous. Je me souviens, enfant, lorsque je chassais le bison...
"

Bon, j'abuse un peu, mais je trouve que les digressions, pensées ou dialogues, lors de moments critiques, sont peu cohérentes avec la réalité de terrain. Elles éloignent le lecteur de la scène, dissipent l'impact émotionnel et nous font oublier l'urgence du moment, voire même, le fil des événements! Il ne faut pas oublier que la mémoire tampon d'un lecteur est limitée, comme celle d'un ordinateur ^^

Enfin, je poserais un bémol sur mon bémol (bémol2 ) Une digression peut créer un effet "bullet time" à la Matrix juste à l'instant critique. Elle peut aussi traduire la panique ou le besoin de fuir dans l'imaginaire du personnage. Mais autant qu'elle soit identifiée et mûrement réfléchie.

Clef 2 : L'histoire en elle-même, doser les cliffhangers

On oublie souvent que ce qui accélère la lecture au delà de la ponctuation et de la façon de relater l'action, c'est les événements en eux-mêmes. Si votre héros est en plein combat, dans une situation de vie ou de mort (et si vous prenez garde à ne pas alourdir inutilement les phrases), le lecteur accélère la lecture automatiquement. Il se renfonce dans son siège, rapproche le livre et dévore les lignes. Hitchcock disait « Le rythme d'un film est entièrement déterminé par la capacité de garder l'esprit du spectateur occupé. [...] C'est pour cette raison  que le suspense est une chose si précieuse: il permet de tenir l'esprit du spectateur en alerte. » ()

Côté roman, la fin d'un paragraphe ou d'un chapitre est un moment de point final, où le lecteur peut souffler. Si vous avez peur que le lecteur vous lâche, il faut finir les chapitres sur un gap ou un cliffhanger (précipice), c'est à dire un moment de grand suspense, l'attente d'une révélation, un retournement de situation ou une réaction imprévue d'un personnage. J'utilise beaucoup cette technique dans Demon Heart. Résultat un roman qui se lit vite et bien d'après mes bêtas mais une sensation bientôt oppressante d'essoufflement. Comme avec l'effet « flux de pensée », il faut faire des pauses dans l'histoire pour laisser au lecteur la possibilité d'intégrer ce qu'il vient de ressentir. Sinon, on risque de perdre le lecteur aussi efficacement que si toutes nos fins de chapitre se terminent comme une conclusion où tout est dit et rien ne reste à faire.

Christopher Vogler (encore un autre mentor ^^) conseille toujours de mettre une scène de « feu de camp » après le moment le plus fort d'un film. Lors de cette scène, les héros prennent le temps de se poser, de faire le bilan du chemin parcouru et de ce qu'il reste à parcourir. Avec l'écrit, je crois que d'une certaine façon, le feu de camp est nécessaire après chaque longue séquence d'action. Attention donc, à bien doser ses cliffhangers!

Conclusion : Accrocher les wagons

Plus la scène est critique, plus elle doit être montrée et non narrée. Comme dirait Emma Darwin, dans son article "showing and telling the basis": "C'est comme un train: montrer c'est les wagons où tout arrive, raconter c'est les bons, forts et flexibles sas qui mènent d'un wagon à l'autre." Elle dit aussi: "Raconter sert pour couvrir la distance lorsque tu en as besoin, ça a beaucoup de valeur. Et tu peux toujours le colorer avec la voix du personnage et et son point de vue – Rend le montr-able – même si tu es juste en train de couvrir la distance."

Bref, il faut aussi savoir raconter, exposer, mais il y a une façon de le faire ! Raconter ne doit pas être un acte, qui éloigne le lecteur du héros pour le rapprocher du narrateur. Au contraire, il faut rester aux côtés du héros en ajoutant des détails tangibles et en donnant corps à la narration. Parler des feuilles qui tombent, plutôt que dire simplement que l'automne vient, glisser le sentiment du personnage et peu à peu revenir dans le "montré" pour atterrir en douceur dans la peau du héros au moment où survient une scène importante.

En fait, toute cette partie de mon post était très inspirée de l'article d'Emma ("showing and telling the basis") Elle donne des exemples sur la différence entre une bonne narration et une mauvaise narration. C'est en anglais, si vous voulez que je vous traduise des passages, dites-le en commentaire ^^

Enfin, le but ultime de la narration et du choix des scènes importantes, ce n'est pas le rythme, c'est de faire naître des émotions. Tout un art! J'essaierais d'en faire un prochain article. Quelques recherche en perspective...

Style, scénar et persos, j'apprends à écrireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant