Partie II - Zayn

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Le claquement de la porte me fait serrer les dents, je me retiens de ne pas sortir sur le palier et attraper ce con par le col, le plaquer contre le mur et lui en foutre une. Celle qu'il mérite et qui lui remettra peut-être les idées dans un semblant d'ordre. Je ne connais personne d'aussi buté que cet imbécile. Hormis moi. Je suis bien pire que lui finalement et les conseils que je lui donne s'ils sont sincères sont bien loin d'être objectifs. Ouais cette meuf est une conne, comme toutes les autres, même si elle domine largement la course, mais il y avait quand même des nanas pas trop mal dans le lot. Je suis un mec exigeant et perfectionniste, avec moi-même comme avec les autres. Je connais chacun de mes atouts, et je crois n'avoir que peu de défauts sachant que je considère comme des défauts les seuls traits de mon caractère que j'ignore. Je suis beau, intelligent et ne le cache pas ; narcissique en somme, avec une forte tendance à l'égocentrisme et à l'individualisme. Je bosse seul parce que je n'aime ni partager mes réussites ni mes échecs. Je veux tout de chaque chose. Et je veux tout de chaque être. Chez moi, il n'y a pas de demi mesure, et soit tu m'aimes, soit tu me détestes, je m'en contrefous. Car dans l'un ou l'autre des cas, ça flatte mon égo d'avoir un impact et une influence sur toi. Je suis un connard.

La voie professionnelle que j'ai choisie me conviens aussi bien parce que je suis talentueux que parce qu'elle s'accorde à ma personnalité. Je suis un artiste. Un vrai. Pas ce genre de marginal qui se prend pour un génie incompris, seul dans sa cave à gratter quelques notes sur une vieille guitare sèche achetée sur un coup de tête ou un de ceux qui dessine sur ses cahiers d'école en étant persuadé qu'il s'agit de chefs d'œuvres alors que ça ne vaut rien. Moi, je suis un génie avec tout ce que cela sous-entend. Il arrive que je sois incompris, mais je vaux cher et mon talent est reconnu, par les autres et par moi. Je signe de mon nom parce que l'anonymat je m'en tape, je ne suis pas chanteur ou acteur et mes groupies ne sont pas des adolescentes harceleuses dont les seins pointes à peine sous leurs t-shirts trop courts. Mes fans à moi, je peux les foutre dans mon pieu sans risquer de me faire monter au pilori et finir sur le banc des accusés. Ma vie sexuelle, n'est en rien un problème pour mon image, au contraire elle cultive le mystère qui semble entoure ma vie privée. J'ai pas d'amis, ou peut-être que si, mais je pense bien trop à mon petit nombril pour m'en apercevoir. J'attends tout d'eux, mais je ne donne rien, ou du moins je le prétends. Car je leur donne mon art et mon inspiration. Chaque toile leur est dédiée. Ils n'ont pas besoin que je l'exprime, ils savent.

Mes pinceaux virevoltent sur ma toile au rythme de la playlist déprimante de ce con qui dans son empressement a laissé son portable branché à mon enceinte. Ça ne me dérange pas, je n'ai aucune préférence musicale ; je suis bien trop lunatique que pour entrer dans la catégorie des fans, ou dans quelconque catégorie d'ailleurs. Je ne suis pas quelqu'un de stable, je peux aimer un truc un jour et le détester le lendemain. La seule constance qui émane de moi est mon art et ma façon de peindre ; même si je m'essaye à des techniques différentes, ma signature transparait toujours ; celle qui fait de mon art un prolongement de mon être.

Je n'ai ni copine ni copain régulier, je n'ai pas envie de m'enterrer dans une relation compliquée qui ne ferait que m'apporter des problèmes dont je ne veux pas. Je tire mon coup et me défais de ma frustration lorsqu'elle est si forte qu'elle m'empêche de bosser. Je ne suis pas sado, mais il est vrai que les émotions les plus fortes sont celles qui stimulent le plus efficacement l'esprit. Mon atelier en témoigne. Ça fait deux mois que je n'ai pas baisé et les vingt toiles qui sont entreposées sous des draps sont de très belles œuvres, si ce n'est pas les meilleures. Je me la raconte ? Non, je suis réaliste. Je suis bon, je ne vais pas dire le contraire et jouer la carte de la modestie en minimisant mon talent.

Contrairement à la moitié des artistes qui peuplent ce monde, mon atelier n'est pas mon endroit préféré. J'aime ce que je fais, et l'environnement qui va de pair, incluant l'atmosphère chargée d'odeurs de peinture, de white spirit, et de conservateurs ; cependant je préfère indéniablement mon salon ou encore mon balcon qui donne sur la rue. Je n'ai pas de préférence, je passe d'un pôle à l'autre selon mon état d'esprit. Mais j'apprécie les choses carrées, nettes. Le seul désordre que je tolère c'est celui que je crée sur mes toiles. Je suis maniaque en gros ; je n'aime pas la saleté, je ne supporte pas quand la vaisselle traine dans l'évier, quand il y a des miettes dans le canapé ou quand la baignoire n'est pas clean. Ma personnalité tranchée n'est néanmoins pas associée à une apparence exubérante. Je suis beau et je sais mettre mon corps en valeur et en prendre soin, mes tenues sont toujours étudiées, peu importe que j'adopte un style classe ou cool ; pas de plis, de tâches ou de trous indésirables sur mes vêtements, et jamais une faute de gout. Je suis un mec consciencieux et organisé et tout comme j'aime que mon appart' soit propre, j'apprécie que mes partenaires le soient tout autant. Je suis exigeant, et si je ne sais pas toujours ce que je veux, je sais ce que je refuse. Une meuf qui n'est pas foutue de s'épiler ou avec les cheveux gras c'est rédhibitoire, je plongerais pas entre ses cuisses. C'est pareil pour les mecs, les poils au cul et dans le dos, ce n'est pas mon délire. La barbe de trois jours j'accepte, à partir du moment où elle est taillée correctement. Les mains aux ongles pas soignés ça me fait grimacer. J'aime les corps ; je n'ai pas encore trouvé la perfection, mais j'apprécie les courbes, les formes harmonieuses, les muscles légers et je nourris une certaine fascination pour les peaux tatouées. Ce n'est qu'une enveloppe charnelle mais elle est le reflet d'un être, notre propre toile blanche. Alors la négligence est révélatrice et je ne pourrais la tolérer, pas même pour une nuit. Je suis propre, je veux quelqu'un de propre, exit le laisser-aller.

Je suis énervé, tant mieux c'est bon pour stimuler mon esprit. Mais je tente également de ne pas être soucieux et cela me rend hésitant et maladroit. Je sais pourtant que pour bien peindre il faut que j'accepte mes émotions, quelles qu'elles soient, car elles sont moi. Ma toile est sombre reflétant le maelstrom d'émotions qui fait fureur en moi, et plus j'accepte chacune d'entre elles, et plus il m'apparait déjà que cette peinture sera l'une d'elles. Je n'ai pas à me cacher ici, mon appartement est l'endroit où je suis moi-même, dans tous mes états, sans barrière ou restriction. C'est mon refuge et je peux y laisser libre court à mon moi intérieur. C'est salvateur et vital. Les personnes vraies et entières qui assument leurs émotions et leurs pensées ça n'existe pas. On cache tous des choses, des douleurs, des plaies mais il faut évacuer. Car lorsqu'on enferme tout à l'intérieur de soi, il faut que ça sorte, et même si on s'emploie à que ça reste enfoui, ça fini toujours par arriver ; et comme la cocotte minute oubliée sur le feu, c'est plutôt brutal et dévastateur. C'est aussi ça le contrôle, savoir vider le vase selon sa volonté propre.

L'écho du claquement de la porte résonne encore en moi et pourtant ça fait plus de six heures que l'idiot qui me sert de colocataire à temps partiel s'est tiré. J'observe mon œuvre d'un œil critique, je suis dur avec moi-même, c'est normal. On ne peut décemment exiger le meilleur des autres si on n'est pas le meilleur soi-même. Le rendu est superbe, j'ai employé plus de couleurs qu'il n'y parait et l'harmonie est stupéfiante. Mes dents accrochent ma lèvre inférieure, mon attention ne se détournant pas de ce que ma mémoire a fait transparaitre au travers de mes coups de pinceau. Car ce ciel nocturne brumeux fendu par l'orage me rappelle son regard à lui. Force et détermination au premier plan, détournant l'attention de ce qu'il y a en arrière plan ; ces émotions qui l'étreignent, la douleur et la honte. Son regard reflète toujours ses émotions ; insondable par moments, franc et honnête par d'autres, un être dans ce qu'il a de plus de vrai, de plus entier. Personne n'est blanc ou noir, nous sommes le résultat d'un hasardeux mélange des millions de couleur qui existent dans le monde, et tout comme chaque teinte est unique, chaque être l'est aussi ; chaque teinte possède sa force et son potentiel, mais aucune ne vaut la sienne. Pas même la mienne.

Le jour se lève, le téléphone sonne depuis quelques minutes. Je n'ai pas envie de me lever alors que je viens à peine de m'allonger ayant déjà eu du mal à me trainer jusque la porte pour la fermer à clé. Je suis satisfait, tellement que je me sens vidé. Je suppose peut-être à tort qu'il doit s'agir de mon agent et je n'ai absolument pas l'intention de répondre. J'ai horreur qu'elle me prenne pour sa poule aux œufs d'or, mes œuvres ne sont pas des œufs et je les vends à qui je veux et je garde ceux que je veux. Et je sais d'ors et déjà que celle qu'il m'a inspirée rejoindra la collection qui lui est dédiée. J'ai presque honte de son existence, parce que c'est mon secret, celui que je cache à moi-même sous des draps orangés tâchés de peinture. Je sais que malgré la curiosité maladive qui le caractérise il n'ira jamais fouiller mon atelier, car il me respecte, même si je ne lui en interdis pas l'accès. Chacune de mes portes lui sera toujours ouverte, mais je ne lèverais pas le voile qui renferme ces toiles, les siennes.

J'aime dormir, même si le sommeil me fuit et me nargue, je l'accueille toujours avec plaisir, peu importe qu'il énerve mon être et soit parfois un sacré salopard. Le sommeil est une des bonnes choses de la vie, essentielle et salvatrice. Il est mon sommeil, génère mon inspiration, me permet d'être en forme et en vie. Je ne pourrais vivre sans sommeil au risque de mourir, comme tout être vivant, mais quel homme prend conscience de ce fait ? Quel être humain est assez fou pour élever un de ses pairs ainsi, lui donnant une telle importance qu'il en devient une faiblesse autant qu'une force ? Et aujourd'hui j'n'ai pas envie de le quitter, pas alors que je le sens m'envelopper d'un doux écrin. Je me traine jusqu'à ma chambre et plonge dans mes draps, taisant mes pensées, les enfouissant loin. Car quand le sommeil se présente, il faudrait être con pour lui dire de se barrer.



Half of me [Zouis] FR TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant