En route !

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Ben suit donc la femme-serpent, tentant de son mieux de ne pas trébucher malgré l'obscurité. Au moins il n'est jamais fatigué : ça fait bien des heures qu'il marche mais il se sent parfaitement bien. Il n'est même pas essoufflé. Ben réalise avec un certain temps de retard qu'il ne respire plus.

‒ Dépêche-toi, humain ! siffle l'autre.

‒ Hey, j'ai un nom ! proteste Ben. Je m'appelle Ben. Et toi ?

‒ Je n'ai pas de nom.

‒ Pourquoi ? Il n'y a pas de noms chez les... comment on doit dire, une serpentine, un serpentin ?

Malgré la faible lumière Ben se sent glacé par le regard méprisant de la femme-serpent.

‒ Je suis. Point. Les noms sont des liens. C'est grâce à ton nom qu'ils peuvent te retrouver. J'ai brûlé le mien.

‒ Mince... Heu, ça fait mal ?

‒ Ça doit être un monde étrange, là d'où tu viens... Ne donne plus ton nom à tort et à travers et demande-moi avant de faire n'importe quoi, d'accord ?

‒ Heu... d'accord... »

Ils cheminent en silence jusqu'à ce que le jour se lève. Les nuages ne sont plus là, des courants de poussière sombre les ont remplacés dans le ciel. L'herbe se fait de plus en plus haute mais les touffes sont de plus en plus espacées. Du sable brun a remplacé la terre.

La femme sans nom arrache quelques brins d'herbes et en fait une tresse qu'elle attache autour de la tête de Ben pour remplacer son tee-shirt trempé de sang. La blessure s'arrête enfin de couler.

A la lueur du soleil Ben la trouve encore plus impressionnante que la veille. Sa queue aux écailles noires est immense. Elle n'a pas de cheveux, mais une crête écailleuse qui part du sommet de sa tête pour descendre dans son dos, le long de la colonne vertébrale. Sa peau est claire et froide comme le marbre. Et surtout, ses yeux aux pupilles fendues sont d'un rouge de braise.

Contrairement aux sirènes elle ne parait pas à moitié humaine, mais plutôt cousine au sixième degré de l'humanité. Dixième degré, corrige mentalement Ben en voyant sa langue fourchue goûter l'air devant elle avant de choisir la direction à prendre.

« Alors ? s'énerve-t-elle en le voyant immobile.

Elle a des crochets dans la bouche. Ben a le réflexe d'avaler sa salive, en vain. Du calme. Elle est impressionnante. Raison de plus pour l'avoir comme alliée. Pour se donner une contenance, il regarde autour de lui et dit :

‒ Je croyais qu'on allait rejoindre la mer. Ce n'est pas là que vivent les sirènes ?

‒ Si, mais Kasta est une renégate... Le fond de notre océan et celui du tien communiquent. Kasta s'est montrée plusieurs fois aux humains de l'autre monde, et elle a ramené l'un d'eux ici. Encore vivant. Fulmur l'a chassée et maudite. Depuis elle vit dans les montagnes – interdiction d'approcher une seule goutte d'eau.

‒ Mais comment est-ce qu'elle a pu ramener un humain vivant ?

‒ Je n'en sais rien, je ne suis pas une sirène... J'imagine qu'il a retenu son souffle...

Ben la regarde fixement, tentant de voir si elle se moque de lui. En vain.

‒ Et pourquoi elle l'a ramené ?

‒ Elle l'aimait. Ça arrive parfois. Surtout aux sirènes. Dépêche-toi, Ben. Celles qu'on a aux trousses préfèrent manger les humains que les embrasser.

‒ Mais... si je suis mort... je peux encore mourir ici ?

‒ Non. Juste perdre ton ectoplasme et errer comme un courant d'air.

Au-delàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant