Chapitre 5

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Kurt ne sentait plus ses jambes. Ni ses bras. Ni son corps tout entier d'ailleurs. L'héroïne faisait bien son boulot.
Elle lui faisait tout oublier : sa douleur, sa dépression, ce monde de fous. Elle ne le rendait pas heureux, non. Ce n'était pas comme un remède. C'était une sorte d'anesthésique.
La musique, était le remède.
Ou du moins, elle l'avait été.
Autrefois, il suffisait qu'il entende un air de rock, quelques notes à la guitare, les hurlements d'une foule pour se sentir bien, euphorique. Il était alors dans son élément, à sa place.
Mais les choses s'ébrèchent au cours des années. Au fur et à mesure, il n'avait plus ressenti la même joie, le même bonheur, le même sentiment d'être enfin en accord avec sa personne.
Alors il avait commencé à mentir, et faire semblant. C'est ce que le monde attendait de lui, c'est ce que Courtney, les fans, ses proches et ses associés attendaient de lui. Qu'il trompe tout le monde, à commencer par lui-même.
Ça aussi, les psychologues pouvaient y donner un nom. D'après eux, c'était simplement une panne. LA panne, en vérité. Celle qui arrive après la décennie des lumières chez les génies. C'était donc ça ? Kurt avait du mal à le croire. Dieu lui aurait donné le talent pour ensuite l'en priver ? Bon c'est vrai, il n'avait jamais été très bon croyant. Mais c'était lui retirer son énergie vitale, sa raison d'exister. C'était inhumain.
Non, Dieu, si jamais il existait, n'était pas derrière tout cela. Il s'agissait seulement de lui, Kurt Cobain, et de ses erreurs. Quand il voyait sa dépression, il imaginait une femme, railleuse et cruelle.
"Je t'avais tout donné, Kurt, le talent et la passion. Et qu'est-ce que tu en as fait ? Tu les as commercialisés."
Étrangement, cette femme avait l'allure de Courtney.
Qu'importe, ça serait bientôt fini.
Kurt se déplaça tant bien que mal jusqu'au fusil qu'il avait été rechercher dans la voiture, dans le garage. Il avait sûrement abusé sur l'héroïne, il était incapable de marcher. Mais au moins, au moment fatidique, il n'aurait pas d'hésitation. Il en finirait une bonne fois pour toute, ça ne traînerait pas. Le coup de feu serait comme sa carrière, bref mais retentissant. Il refusait de s'éteindre lentement, dans une longue agonie. Il refusait d'assister à sa propre décadence.
Ce serait bientôt fini.
Kurt attrapa le fusil, posa le doigt sur la détente. Son bras était un peu court, il aurait pu mieux calculer son coup.
Ouais, il y a plein de choses que j'aurais du faire.
Kurt pressa le canon de l'arme sur son crâne, ferma les yeux et se repassa le film de sa vie, les moments importants, et moins importants.
Ses parents quand ils étaient encore ensembles, puis leur divorce, ses premières fois sur scène, ses premiers autographes, les répétitions, les crampes, la dépendance, les cures, les tournées, la naissance de Frances, les lèvres de Courtney.
La main de Kurt se crispa sur le fusil, il se força à garder les yeux ouverts.
Jusqu'au dernier instant où je serai sur terre.

À 1h27 précise, un coup de feu retentit dans la maison de Seattle.

Nirvana ou le ParadisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant