Chapitre 6 - Transparence

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Dix heures. Une dizaine d'ombrettes patientaient dans le hall, vêtues de capes en velours sombres. J'avais eu le temps de m'en procurer une aussi ; plus tôt ce matin, Nephtys m'avait accompagnée en ville acheter quelques vêtements, et j'étais soulagée de ne plus être obligée d'en emprunter.

Je ne connaissais aucune de mes collègues, aussi me contentai-je de les épier discrètement. Elles me semblaient un peu plus âgées que Jeyanah et les autres ; sûrement plus anciennes, plus expérimentées. Que pouvaient-elles penser de la nouvelle petite réfugiée ? J'étais mal à l'aise parmi elle et faisait tout mon possible pour le camoufler.

Inspire. Expire. Inspire. Expire...

Je tentai quelques exercices de relaxation. Sans savoir pourquoi j'étais angoissée à l'idée de ressortir d'Eel, avec Nevra et une bande de froides inconnues. J'essayai de relativiser en me disant que retrouver la sérénité de la forêt me ferait du bien.

C'était sans compter sur la silhouette féminine et détestablement superbe d'une gardienne aux longs cheveux pourpres, qui avançait avec grâce vers nous, sa cape de velours élégamment posée sur ses épaules.

Senepia, suivie de près par Nevra, arriva devant nous. Elle nous regarda avec une petite moue supérieure avant de se retourner vers le chef de garde.

- Bonjour gardiennes, commença ce dernier, très professionnel, en nous dévisageant l'une après l'autre. Aujourd'hui nous allons simplement faire le tour des centres de guet afin de vérifier leur stabilité. Nous avons également à les ravitailler. Mais à la fin de la semaine nous entreprendrons un plus long voyage, en essayant de rejoindre Drenya, au sud ; il paraît (il me jeta un coup d'œil appuyé) que les Illusionnistes ont incendié la ville. Il nous faudra voir ce qu'il en est désormais. Pour cette mission-là nous seront accompagnés de quelques Obsidiennes et Absynthes. Mais nous aurons le temps d'en parler plus tard...

Il fit une petite pause. Ses sourcils étaient froncés, soucieux.

- Dans l'immédiat on se contente d'aller chercher les sacs de ravitaillement. Allez, ordonna-t-il fermement.

Dociles, les ombrettes se pressèrent vers la porte. Je les suivis, ne sachant que faire d'autre. Seule Senepia marchait tranquillement à côté de Nevra, ce qui m'agaça fortement, sans que je comprenne pourquoi.

Nous récupérâmes des sacs étiquetés, lourds et encombrants, à charger sur notre dos. Le mien contenait des biscuits secs et des bocaux de légumes séchés. Difficilement je le balançai par-dessus mon épaule. Les autres filles transportaient des armes, de l'eau, de la nourriture. Nevra soupesait deux sacs dont le contenu m'était inconnu. Seule Senepia avait les mains vides, et se contentait de nous fixer.

Nous nous mîmes en route. Le soleil était déjà haut dans le ciel, mais une fois entrés dans la forêt l'obscurité fondit sur nous. On aurait pu croire qu'elles seraient gênées dans le noir, mais elles semblaient connaître la forêt par cœur. Nevra se promenait tranquillement, un léger sourire aux lèvres. Senepia le suivait en écarquillant les yeux, comme si cette action pouvait la rendre noctambule. Quant à moi, j'étais si bien ! L'obscurité mettait mes sens en éveil et chassait ma peur. Ma vue perdait de l'importance et laissait mon ouïe, mon odorat et mon toucher me guider à travers les troncs.

Peu à peu j'oubliai mon environnement, mes collègues, mon lourd sac. Mon instinct reprit le dessus et je marchai un peu plus vite. Mon corps était en pilotage automatique et mon esprit comme libre de penser, libre de négliger.

Je me rendis compte à quel point j'aimais ce qui était sombre. J'aimais la douceur et la sensation de repos que me procurait le noir. Je le trouvais familier, agréable.

Illusoire [En pause]Where stories live. Discover now