Nathan tapota la barre inférieure, mon signal.
— C'est à toi, Milya. Tu respires, tu te poses, tu fais ce qu'on a bossé. Tu l'as, c'est clair ?
— C'est clair, soufflai-je sans y croire totalement.
Je passai la magnésie sur mes mains. Le bruit sec de mes paumes frottant la poudre blanche me calma un peu. Rituel rassurant. Je tapai dans mes jambes pour les réveiller, puis fis face à l'agrès.
C'est là que tout devient flou.
Mes doigts agrippent la barre inférieure, je m'élance. Une montée, un balancé, un tour complet. Tout va très vite. Mon corps connaît la trajectoire, mes mains se referment, se relâchent, rattrapent l'autre barre dans un claquement sec. Je suis suspendue dans le vide, portée par l'élan.
Je pense à rien. Et c'était ça, la liberté. Mon corps prend le relais, efface mes pensées, les remplace par le mouvement.
Les figures s'enchaînaient presque mécaniquement, mon esprit partiellement déconnecté. Et pourtant, je sentais chaque muscle, chaque respiration, chaque milliseconde. Je volais entre les barres, une impulsion après l'autre.
Je finis mon mouvement, lâchai la barre et atterris les pieds bien ancrés, genoux fléchis, bras levés. Nath poussa un cri tandis que Sève applaudissait, une expression fière sur le visage.
Je les rejoignis sous leurs acclamations.
— Parfait, commenta Sève. Continue comme ça. Garde la même énergie, le même mental.
Je hochai la tête, un sourire discret aux lèvres.
Nathan, quant à lui, me prit dans ses bras avant
de me faire décoller du sol.
— J'espère que tu es fière de toi, petite tornade ! me chuchota-t-il à l'oreille. Parce que moi, je le suis. Et apparemment Judie aussi.
Je me tournai et rencontrai effectivement le regard de ma meilleure amie, rempli de fierté.
Mais malgré leur enthousiasme, je savais que rien n'était encore joué.
— Maintenant que tout le monde a fini, je vous invite à rejoindre votre prochain agrès en ordre et en musique, s'exclama le présentateur.
Pour les filles et moi, c'était le sol. On avançait toutes les unes derrière les autres, jambes tendues et tête haute. On avait cinq minutes d'échauffement avant notre passage. Ça servait juste à nous rassurer, ou pas, car ce n'était pas avec ce temps que nous allions améliorer quoi que ce soit. Une fois terminé, je m'installai près de mon entraîneuse.
— Tu passes deuxième, me souffla Nathan. Respire. Garde ta bulle.
Je souris, contente de cette nouvelle. C'était une bonne place, pas le stress d'être la première, mais pas non plus celui de la dernière. J'avais répété mille fois, visualisé chaque mouvement. Et pourtant, une petite voix intérieure chuchotait : Et si tu tombais ? Et si tu perdais l'équilibre ? Et si t'étais pas assez bien ?
Je l'étouffai. N'ayant pas le temps de douter. Pas maintenant.
Quand ce fut mon tour, je saluai les juges et m'avançai jusqu'au centre du praticable. La musique se lança, et pendant une minute trente, je me coupai du monde.
Tout devenait flou autour. Il n'y avait plus que les pulsations de la musique, le rythme de mes pas, les respirations contrôlées avant chaque impulsion. Je poussai fort dans mes bras, gardai l'alignement, fixai un point imaginaire pour ne pas me laisser emporter par les cris de la foule.
Je ne réfléchissais plus. Mon corps connaissait le chemin.
Et puis, la dernière pose. Haletante. Une demi-seconde de silence. Puis les applaudissements.
Je sortis du praticable, le cœur battant comme un tambour. Sève m'attrapa par les épaules.
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Fall, get up, repeat
Roman d'amourÀ dix-sept ans, Milya vit pour la gymnastique. Ses journées sont rythmées par les entraînements, les compétitions, et les sacrifices qu'elle s'impose pour atteindre un rêve qu'elle est seule à vraiment porter. Chez elle, l'ambiance est plus glaciale...
L'equilibre fragile
Depuis le début
