À maman. À ses mots d'hier matin. Au regard qu'elle m'avait lancé, comme si j'étais un échec ambulant, un poids à traîner dans sa vie trop parfaite.
Tu es la plus grosse erreur que j'ai faite.
Je poussai plus fort dans ma rondade, comme pour repousser sa voix loin de moi. Mais elle restait là, logée dans mon ventre, collée à mes côtes.
Je terminai ma chorée, haletante, les jambes tremblantes.
— C'est mieux, lança Sève. Encore un peu crispée dans le haut du corps. Tu penses à quoi, là ?
Je haussai les épaules. Elle savait très bien à quoi je pensais.
— C'est dans ta tête que ça se passe, Milya. T'as le niveau, mais t'as pas encore la liberté. Faut que tu te battes aussi fort dedans que tu te bats dehors. T'as compris ?
Je hochai la tête puis nous passions à la poutre.
***
Je me tenais devant la grande porte, les épaules tendues, les mains moites. Mais malgré ça, un grand sourire se dessinait sur mes lèvres. J'étais entourée de gymnastes comme moi, prêtes à tout pour être sur le podium. Elles bougeaient, ajustant leurs tenues, leurs gestes semblaient fluides, maîtrisés. Moi, je me sentais figée, mon cœur battant fort dans ma poitrine. La voix du présentateur mêlée aux acclamations. Je pris sur moi et m'enfermai dans ma bulle, comme avant chaque compète. En plus, je n'avais pas de raison de paniquer. L'échauffement s'était bien passé. Après le sol, j'étais allée à la poutre et je n'avais fait aucune chute, idem pour la barre. Et pour le saut, j'avais pallié les trois fois où j'étais passée. Une fois mes exercices de respiration faits, la porte s'ouvrit sur le gymnase. Je fis craquer mes poignets trois fois, comme toujours avant une entrée. Papa disait que ça faisait tomber le stress avec les os.
J'y pénétrai sous les projecteurs blancs, une chaleur oppressante s'échappait des gradins bondés. Les cris des supporters, les voix amplifiées, le bruit sourd des corps qui frappaient le sol... tout vibrait à l'intérieur de moi.
Mon regard balaya la salle. Les juges étaient déjà installés, impassibles. Leurs visages fermés, leurs stylos prêts à gratter le papier au moindre faux-pas. Je déglutis difficilement. Il y avait un grand praticable au centre de la pièce, une piste de saut devant et derrière. Deux poutres étaient placées à gauche du sol et deux barres à droite. Et en face de ça, il y avait le public, tout le monde nous acclamait à notre entrée.
Personne t'acclame, personne n'est venue pour te voir, arrête de te faire des films.
Cette pensée me fit perdre le peu de confiance en moi. Personne n'était venu, c'est vrai, je ne devais sûrement pas en valoir la peine. Mais après, aujourd'hui est un jour de semaine, tout le monde travaille, ils n'ont pas dû pouvoir se libérer.
Pourtant ta mère ne loupe pas un match de tes frères, même quand elle travaille.
J'avançais, laissant mes jambes me guider. Je ne savais pas où j'allais, je suivais la masse de gymnastes, qui saluaient leurs parents, amis, en passant. Et puis y avait moi, moi je préférais regarder mes pieds plutôt que de lever les yeux et n'avoir aucun point d'ancrage auquel m'accrocher. Là, au moins, le sol était bien présent, m'ancrant dans la réalité. Une musique accompagnait notre arrivée, qui se coupa lorsque nous fûmes toutes en ligne sur le praticable.
Le présentateur prit la parole, et blablata pendant un moment, remerciant toutes les personnes qui avaient aidé à faire la compétition, les juges, les entraîneurs...
Puis arriva le moment où il présenta chacune des gyms, une par une.
—Marie-Lou Risquova, cria-t-il dans le micro.
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Fall, get up, repeat
RomanceÀ dix-sept ans, Milya vit pour la gymnastique. Ses journées sont rythmées par les entraînements, les compétitions, et les sacrifices qu'elle s'impose pour atteindre un rêve qu'elle est seule à vraiment porter. Chez elle, l'ambiance est plus glaciale...
L'equilibre fragile
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