Point de vue : Margaux
Date : 24 mai 2026
Heure : 22h03
Lieu : Vestiaires du Château de la Croix des Gardes, Cannes
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Il lui a fallu exactement quatorze minutes pour reprendre une respiration normale.
Pedro est reparti dans les étages supérieurs, là où se trouve la grande terrasse avec vue mer, les fauteuils en rotin chic, les DJ sets discrets. Elle l'a suivi du regard à travers la fenêtre jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière une arche en pierre. Depuis, chaque seconde a le goût d'un battement suspendu.
Elle tente de se reconcentrer. Trois sacs à main Hermès, une pochette Vuitton, une veste Chanel — Cannes est un musée ambulant de luxe en mai. Mais tout paraît soudain flou. Comme un rêve qui la frôle sans la traverser.
Elle jette un œil à son téléphone : 22h03. Encore au moins deux heures de mission. Elle soupire.
Et soudain, elle le revoit. La silhouette familière. Il redescend les marches. Plus seul cette fois, accompagné d'un homme qu'elle reconnaît vaguement — un producteur, peut-être. Ils parlent vite, à voix basse. Pedro rit, incline la tête, puis s'excuse d'un geste et s'approche d'elle.
Elle se redresse. Sourire léger. Main droite contre la hanche gauche pour calmer la panique.
Il entre.
— Hey, dit-il en anglais, désignant son téléphone. Super embarrassing question... Would you happen to have a charger? (Question super embarrassante ... Est-ce que vous auriez un chargeur ?)
Elle cligne des yeux. Comprend. L'adrénaline remonte.
— Of course. I'll ask someone to bring it. Lightning or USB-C? (Bien sûr. Je vais demander à quelqu'un d'en amener un. Lightning ou USB-C ?)
Il regarde son téléphone.
— Lightning. iPhone.
— Okay. One second. (Une seconde)
Elle envoie un message rapide à un runner de la soirée. Pedro s'appuie légèrement contre le comptoir du vestiaire, bras croisés, l'air décontracté mais attentif. Il la regarde. Pas avec insistance, pas comme les mecs relous de la Croisette. Plutôt avec une douce curiosité.
— You're French? (Tu es française ?)
— Oui. I mean, yes. (Je veux dire, oui.)
Il sourit. Ça le fait marrer, visiblement.
— How did you end up working here? (Comment tu as atterri ici ?)
Elle hésite une demi-seconde. Trop de vérités possibles. Elle en choisit une, simple.
— I do hostess gigs sometimes. On the side of my real job. (Je fais des missions d'hôtesses de temps en temps. A côté de mon vrai job.)
— Which is? (Qui est ?)
— Communication. For a small company in Cannes. (Communication. Pour une petite entreprise à Cannes.)
— Do you like it? (Est-ce que tu aimes ça ?)
Elle hausse les épaules.
— It pays the bills. (Ca paye le loyer.)
Il rit, cette fois franchement.
— Yeah. Been there. (Oui, j'ai connu ça.)
Elle sourit. Quelque chose se détend légèrement. Ils sont là, tous les deux, dans une pièce fermée pleine de vestes hors de prix, et il n'y a que leurs voix. Le son de la fête est étouffé. L'instant est suspendu, presque intime.
— You speak English really well, ajoute-t-il. (Tu parles très bien anglais.)
— Thank you. I studied a lot. And I watch a lot of movies. (Merci. J'ai beaucoup étudié. Et j'ai regardé beaucoup de films.)
Il incline la tête, intrigué.
— What kind of movies? (Quel genre de films ?)
— Everything. Old, new. Mostly drama. Sometimes horror. I... I know who you are, by the way. (Peu importe. Vieux, nouveaux. Beaucoup de drames. Des fois des films d'horreur. Je ... Je sais qui tu es, au passage.)
Il éclate de rire.
— Oh good. For a second I thought I had to introduce myself. (Oh bien. Pendant une seconde j'ai cru que j'allais devoir me présenter.)
— No need. (Pas besoin.)
Elle se mord légèrement la joue. Trop dit ? Pas assez ? Elle n'est pas certaine. Mais il n'a pas l'air gêné. Juste amusé.
— So... do you have a favorite film of mine? (Donc ... est-ce que tu as un film préféré dans lequel je joue ?)
Elle rougit. Comme une gamine.
— The Last of Us isn't a film. (The Last of Us n'est pas un film.)
— Fair point. (C'est juste.)
— But it destroyed me. So... thanks for that. (Mais ça m'a détruite. Donc ... merci pour ça.)
— You're welcome. I think? (De rien. Je crois ?)
Elle ose un regard dans ses yeux. Ils brillent. Pas comme sur les tapis rouges. Mieux. Comme s'il était... vraiment là. Présent.
Le runner arrive enfin, tend un chargeur.
— Voilà. Lightning.
Margaux le branche dans une prise près du comptoir. Pedro s'approche, glisse son téléphone sur le câble, puis se retourne vers elle, plus proche encore.
— You've been very kind. What's your name? (Tu as été adorable. Comment tu t'appelles ?)
Elle hésite. Une fraction de seconde.
— Margaux.
— Margaux, répète-t-il doucement, avec son accent qui rend le prénom presque irréel. I like that. (J'aime ça.)
Elle a envie de mourir sur place. De fondre, littéralement. Mais elle garde contenance. Sourit. Professionnelle jusqu'au bout.
— Enjoy your evening. (Profite bien de ta soirée.)
— I already am. (Je le fais déjà.)
Et il s'éloigne, encore.
Margaux s'appuie contre le mur, les jambes tremblantes.
Elle vient d'avoir une vraie conversation avec Pedro Pascal. Il connaît son prénom. Il lui a souri. Il lui a parlé comme à une égale.
Son cœur bat à tout rompre. Et dans sa tête, une seule pensée tourne en boucle :
Ne perds pas pied, Margaux. Pas encore.
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Cinq ans après toi
FanfictionElle s'appelait Margaux. Il s'appelait Pedro. Elle vivait à Cannes et rêvait de cinéma sans jamais oser s'y brûler. Lui brillait déjà à Hollywood, auréolé de gloire et de solitude. Ils n'auraient jamais dû se croiser. Surtout pas au bord de la Médit...
