Unstable Patterns

06

« C'est quand le silence devient trop bruyant qu'on commence
à se noyer. »

- Skye Morgan

Je n'ai pas dormi cette nuit.
Ou si j'ai dormi, c'était avec les poings serrés et le cœur battant trop fort pour rêver.
Rick a claqué la porte vers deux heures du matin.
Ma mère ne m'a pas regardée au petit déjeuner.
Ava m'a envoyé douze messages. Je les ai tous lus. Aucun ne m'a consolée.

Il y a cette sensation étrange, ce matin. Comme si mes os avaient enregistré les cris d'hier, comme si ma peau était marquée d'un vacarme invisible. Et pourtant, quand je me regarde dans le miroir... je suis toujours là. Même regard vide. Même traces violettes sous les yeux. Même fille qui a appris à faire semblant.

Je mets un pull noir. Un peu trop grand, un peu trop moi.
Je noue mes cheveux à la va-vite, glisse mes écouteurs et claque la porte sans dire un mot.
Je traverse Northgate sous un ciel gris et menaçant, les pas lourds, comme si chaque pas me tirait plus loin de moi-même.

Au lycée, tout semble normal. Trop normal.
Les gens parlent, rient, s'embrassent dans les couloirs.
Et moi, je me demande comment ils font. Comment ils vivent avec autant de légèreté.
Je passe devant un groupe de filles. Une murmure :

- C'est elle, Skye. La fille qui a rembarré Hazel hier.

Je ne tourne pas la tête. J'avance. Toujours.

Hazel.
Je sais qu'elle va me tomber dessus.
Elle n'aime pas perdre le contrôle, encore moins quand c'est une fille comme moi qui lui arrache une mèche de son pouvoir.

Dans les escaliers, je croise Ava.
Elle s'approche, les sourcils froncés.

- Tu réponds plus à tes messages ?
- J'ai eu une nuit compliquée.
- Je m'en doute... Skye, fais attention. Hazel est... tordue. Elle a des histoires avec tout le monde, et Liam, c'est son terrain de chasse.

Je fronce les sourcils.

- Je m'en fiche de Liam.

Mensonge.

- C'est pas pour lui que j'ai parlé hier. C'est parce que j'en ai marre que tout le monde baisse les yeux quand elle écrase quelqu'un.

Ava me regarde, longuement.

- T'as changé.

Je hausse les épaules.
Non.
Je suis juste fatiguée de survivre en silence.

**

La salle de littérature est calme. Presque vide.
Je prends une place près de la fenêtre. Celle que personne ne choisit parce que le rideau est cassé et que le soleil tape. Moi, j'aime cette place. J'aime sentir la lumière, même quand tout en moi est froid.

Quelques minutes plus tard, une silhouette familière s'installe à deux sièges de moi.
Il n'a rien dit. Rien regardé. Juste déposé son sac et croisé les bras derrière sa tête.
Liam Carter.

Il tourne lentement la tête, sans vraiment me fixer.

- T'as vu ? T'as réussi à déclencher l'apocalypse hier.
Je détourne les yeux.
- Je fais pas ça pour le spectacle.
Il rit doucement. Un rire grave, désabusé.
- C'est ce que disent tous les héros accidentels.

Je me mords l'intérieur de la joue.
Il se penche légèrement vers moi. Trop proche.

- T'es pas comme les autres filles.
- Tu dis ça à toutes les cassées ?
Il sourit.
- Justement. C'est pour ça que je dis rien à personne. Mais toi... t'as une façon de craquer sans exploser.

Je le regarde enfin.
Il a ce regard. Ce foutu regard. Comme s'il devinait que je suis en morceaux.

- T'es du genre à donner des surnoms aux gens ?
Il hausse un sourcil.
- Peut-être. Pourquoi ?
- Parce que j'ai pas besoin d'un surnom. J'ai déjà assez de cicatrices.
Il sourit.
- Alors je t'appellerai Crackie.

Pause.

- Parce que t'as l'air solide, mais on sent que t'es déjà en train de tomber.

Je me lève.
Je prends mes affaires.
Je sens son regard dans mon dos comme une lame.

- C'est pas une insulte, Crackie.

Je me retourne, les yeux froids.

- Et toi, c'est quoi ton surnom connard ?
- Celui que tu veux. Tant qu'il vient de toi.

Et merde.
Je crois qu'il commence à fissurer un truc en moi.