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L'art de survivre, c'est de savoir faire semblant. »

- Skye Morgan


J'ai toujours su que le silence pouvait être plus bruyant qu'un cri.

Mais ce matin, ce n'est pas le silence qui m'agresse. C'est le monde. Le lycée. Les rires trop aigus dans les couloirs, les casiers qui claquent, les coupes de cheveux fraîchement taillées comme pour annoncer qu'une guerre commence. Je reste droite, impassible. Je serre la lanière de mon sac si fort que mes jointures deviennent blanches.

Ava marche à côté de moi, et son énergie remplit l'espace que je refuse d'occuper. Elle parle trop vite, trop fort, mais c'est sa manière de survivre, à elle. Et je respecte ça.

- Tu vas pas rester toute l'année à côté de la fenêtre à griffonner des trucs bizarres, hein ?

Je hausse les épaules.

- Si.

Elle roule les yeux, mais son sourire ne faiblit pas. Elle connaît les failles de mon armure. Et elle choisit de ne pas les réparer, juste de rester à côté.

En entrant en classe, je sens l'air changer. Comme si quelque chose s'était déplacé dans l'atmosphère. Un pressentiment.

Et puis je le vois.

Assis au fond. Les écouteurs dans les oreilles. Le regard vissé à la vitre. Veste noire, mâchoire serrée, et cette posture nonchalante qui crie : « touchez-moi et je mords ». Je reconnais le genre. J'ai lu assez de visages pour savoir ceux qui brûlent à l'intérieur sans laisser passer la fumée.

Ava me pousse du coude.

- T'as vu le nouveau ? On dirait qu'il sort d'un roman noir.

Je détourne les yeux.

Je ne suis pas intéressée.

Je n'ai pas envie d'être curieuse.

Et pourtant, mes mains commencent à trembler. Une nervosité que je n'arrive pas à nommer.

Hazel fait son entrée dans la classe comme une gifle. Rouge à lèvres écarlate, cheveux lissés au millimètre, réputation d'ouragan. Elle s'assoit sans m'adresser un regard, mais je sens déjà la tension. Elle ne m'aime pas. Elle ne m'a jamais aimée. Parce que je ne joue pas à leurs jeux. Parce que je n'envie pas leur couronne en toc.

Noah , lui, m'adresse un sourire en coin. Il est drôle, et intelligent. Un garçon normal dans un monde qui ne l'est pas.

Puis la prof entre. Ms. Rowen. Toujours aussi rigide que l'an passé.

- Silence. Sortez vos carnets.

Les pages tournent. Les stylos grattent. Et mon esprit dérive.

Rick.

Il n'est pas là, mais il vit dans mes nerfs. Dans mon estomac contracté. Dans la manière dont je sursaute quand un garçon hausse un peu trop le ton.

Je pense à lui comme à une contamination. Discrète. Mortelle.

Pendant que Ms. Rowen parle de Shakespeare, je dessine des spirales sur le coin de ma feuille. Des motifs instables. Comme ceux qui hantent mes rêves. Comme ceux que je vois, sur la nuque du garçon au fond.

Il tourne la tête. Nos regards se croisent.

Et, l'espace d'une seconde, j'ai l'impression qu'il vient de lire mes pensées.

Ava chuchote :

- Tu vas te faire manger toute crue, Crackie.

Je fronce les sourcils.

- Quoi ?

- C'est comme ça qu'il t'a appelée, tout à l'heure. Tu regardais ailleurs.

Crackie.

Un surnom. Une intrusion. Un risque.

Je déteste qu'on me nomme.

Je déteste encore plus que ça me plaise.

Unstable PatternsWhere stories live. Discover now