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Aujourd'hui, une bénévole est venue dans ma chambre. Afin de m'écouter, m'a-t-elle dit. Je lui ai raconté le principe ce blog et je lui ai dit que, ce que j'avais à dire, je l'écrivais. Elle a été très intéressée. Je lui ai demandé sa motivation pour venir écouter les mourants. Elle était réticente à parler d'elle. Ce n'était pas son rôle. J'ai insisté en disant que ça m'intéressait.

Alors elle m'a parlé de sa religion et de sa recherche spirituelle. Elle souhaite aider son prochain. Je lui ai expliqué ma philosophie, ma certitude de me désintégrer en un milliard de molécules qui, au fond, ne se sont assemblées que pour une brève seconde à l'échelle cosmique.

Elle a eu cette réflexion :

— N'est-ce pas triste de considérer que la vie s'arrête avec le corps ?

Je suis resté un instant pantois. Triste ? Mais est-ce triste que la gravité attire les corps les uns vers les autres ? Est-ce triste que les électrons tournent autour des protons ? Est-ce triste que l'aiguille de la boussole s'oriente vers le nord ? Que les planètes tournent autour du soleil ?

L'univers est. Pourquoi voulons nous mêler nos sentiments à son existence ? Et quand bien même nous trouverions les lois de la physique tristes, cela enlèverait-il la moindre valeur à leur vérité ?

C'est sûr que, dans ma position, je trouverais plus joyeux de savoir que je m'envole dans les nuages pour un monde meilleur, des ailes sur le dos, une lyre dans les mains. Malheureusement, je ne pense pas que le monde se plie à mon désir, à ma volonté. C'est peut-être ce qui fait ma différence avec les croyants.

J'ai demandé à la dame sous quelle forme elle croyait à la vie après la mort. Elle m'a répondu :

— Un monde de félicité où je retrouverai des êtres chers qui sont partis trop tôt. Un grand bonheur.

— Non, l'ai-je interrompu ! Vous n'y croyez pas réellement !

— Pardon ?

— Ouvrez la fenêtre et sautez. Votre monde de félicité, les gens que vous aimez sont là, à une enjambée de fenêtre. N'est-ce pas égoïste de les faire attendre ? Allez-vous sauter ?

Elle m'a considérée comme un dément.

— Mais bien sûr que non.

— Vous voyez, au fond de vos tripes, vous savez que vous vous racontez des fables, des contes de fées pour adoucir la douleur. Mais chacune de vos cellules sait, elle, que la vie est trop précieuse. Chacun de vos muscles vous empêchera de sauter parce que eux appréhendent ce que votre cerveau tente d'oublier en se berçant de confortables illusions.

Dans un film ou un roman, elle aurait été choquée et serait partie en claquant la porte. Mais elle a éclaté de rire. C'était contagieux, je l'ai rejoint. Elle m'a dit que chaque malade, chaque rencontre était une leçon de philosophie. Mais que la mienne était pour le moins originale.

— Au fond, vous semblez en paix avec vous même et votre vision du monde, même face à la mort. Cela, je le souhaite à chacun. Et si votre vision vous réconforte, qui suis-je pour oser la remettre en question ? Je m'excuse d'avoir employé le mot « triste ». Je reviendrai vous voir avec plaisir, j'espère que nous aurons d'autres fructueux échanges de ce type. Mais attention, je serai mieux armée la prochaine fois.

Il est tard. L'hôpital s'est endormi. Je retourne cette conversation en tout sens et, malgré nos divergences philosophiques, je suis convaincu qu'il s'agit d'une très grande dame.

À demain...

Le blog d'un condamnéWhere stories live. Discover now