J-7

110 11 1
                                    

Je n'ai pas de souvenir de cette nuit ni de ce matin. Visiblement, j'ai fait une réaction particulière à l'augmentation de la dose de morphine. Il parait que j'ai râlé, que je me suis étouffé. Le personnel a cru que c'était la fin, ma famille a été appelée.

Lorsque j'ai ouvert les yeux pour la première fois cette après-midi, je les ai vu tous autour de moi, inquiets. Comme s'il pouvait m'arriver pire que mourir.

Je suis resté un temps indéterminé à retrouver mes esprits. Devant leurs airs ahuris, je n'ai pas résisté. C'est ignoble mais j'ai toujours rêvé de faire cela. Sentant mes forces revenir, j'ai commencé par émettre des borborygmes et à simuler une respiration difficile.

Sans grande originalité, j'ai tenté de tendre mon bras valide et j'ai fait « argh » en m'écroulant. Le médecin s'est immédiatement rué sur moi avec un stéthoscope. Mon fils ma saisit la main et a crié « Papa ! ».

Alors j'ai relevé la tête, j'ai ouvert grand les yeux et j'ai crié « Coucou ! ».

Le médecin est tombé à la renverse. Mon fils a fait un bond en arrière et ma femme a hurlé sans interruption pendant près d'une minute. Quel souffle !

Ils m'ont ensuite passé un savon terrible. Surtout ma femme. Si samedi fut le jour d'un mariage aux soins palliatifs, ce mercredi n'a pas été loin de nous offrir un divorce. Mais je me suis bien amusé.

Le médecin a tenté d'expliquer que la morphine provoquait des erreurs de jugement. La réponse de ma femme fut cinglante : « Ne cherchez pas à le dédouaner docteur. Cela fait 58 ans qu'il est coutumier de ce genre de gamineries et il n'a jamais eu besoin d'excuses. »

Mais bon, s'il fallait arrêter de faire l'andouille sous prétexte qu'on va mourir... C'est vrai quoi, non ? Mes fils n'ont pas trop l'air de m'en vouloir. Ils m'aident à taper ce message.

À demain...

Le blog d'un condamnéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant