Chapitre 11

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Au milieu du jardin en friche, la voix de Johnny Cash chantant In My life sortait d'une fenêtre ouverte. Johnny Cash enregistré en live et à bout de forces, alors que la mort le guettait en coulisses. Pour dire : la voix de cette légende de la country music ne tenait plus qu'à un fil. Comme sa vie. Et c'en était bouleversant.

Mais dehors, les sanglots couvraient tout, la voix du chanteur, le chant des oiseaux, le clapotis de l'eau et même le frôlement de l'air dans les feuillages. C'était des sanglots gutturaux venus du plus profond de l'être, et qui résonnaient jusqu'à la forêt.

Les Santiags pleines de boue, l'homme au chapeau de cow-boy tournait le dos au soleil levant, et il creusait un trou derrière sa maison. L'odeur de la terre grasse le prenait à la gorge. A moins que ce fût les sanglots justement. Ces énormes sanglots qui soulevaient son dos voûté à intervalles courts et réguliers, comme un violent hoquet dont il ne se débarrasserait jamais. Son visage creusé qu'on ne pouvait pas voir, était baigné de larmes qui se mélangeaient à la sueur de son front, et il creusait, creusait, de plus en plus profond, jetant la pelletée de terre sur le tas déjà haut, avec à chaque fois ce même geste de rage décuplée. Comme si c'était à la terre qu'il en voulait.

A quelques dizaines de kilomètres de là, silencieuse et calme, Clermont-Ferrand s'éveillait à peine dans une brume laiteuse d'où seul le clocher de la cathédrale émergeait. Mais quelque chose de rose traînait dans le ciel, et avec le Puy de Dôme orange et sanguin qui se détachait de l'horizon, la ville avait déjà meilleure mine que la veille au soir, sous le déluge.

Aussi quelque part, dans un petit hôtel situé au cœur du quartier historique, Leila qui s'était réveillée la première, prenait une douche. Aveuglée par la mousse du shampoing, elle laissa couler l'eau une plombe. De ses cheveux plaqués sur son visage jusqu'à l'extrémité de ses orteils, l'eau coulait en abondance sur sa nuque, ses seins, ses reins. Le gel aux senteurs exotiques devenait mousse, et un parfum de vanille et de monoï se répandait dans les brumes de chaleur.

La fenêtre de la chambre était ouverte, mais Gladys râlait qu'on étouffait, qu'y'avait pas d'air dans cette putain de ville ! La journée s'annonçait super chaude. Mais Fanny n'était plus qu'à deux rues d'ici. C'était cela l'essentiel. Et Leila qui ne s'était jamais senti aussi heureuse, chantonnait sous la douche pour que rien ne change. Maintenant qu'elle aussi était de nouveau amoureuse, elle souhaitait tout le bonheur du monde à Fanny, qu'elle se marie avec son magicien, qu'ils aient beaucoup d'enfants –inch Allah.

Pendant ce temps-là, l'homme au chapeau de cow-boy creusait, creusait... Le jour était presque levé, mais le pire avait déjà eu lieu, ça se lisait dans ses yeux de chien-loup. Et même que ce n'était qu'un début.

La disparition, où es-tu Fanny L.?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant