Nate Price
Je ne bouge pas en entendant ma porte s'ouvrir. Caleb est le seul à venir ici, ça ne peut être que lui. J'attends qu'il approche, mais au lieu de ça, c'est la voix de Sheyla que j'entends :
- Louna est partie.
Elle était là depuis trois jours. Je crois. J'ai catégoriquement refusé de la voir, je me connais, je sais que j'aurais été capable de céder et de lui chialer dans les bras. Ça m'aurait surement fait du bien sur le moment, mais je m'en serais voulu d'avoir été si pitoyable pendant des semaines ensuite. Rien qui ne vaille le coup.
- Tant mieux. Il est quelle heure ?
J'ai passé le plus clair du temps à dormir depuis que mon pouvoir a augmenté, et comme je n'ai aucun moyen de voir le soleil, la notion du temps m'a vite échappé. Caleb m'a aidé à me repérer hier, mais je ne l'ai pas vu depuis un moment et j'ai dormi deux fois entre-temps. Peut-être qu'en réalité ce n'était pas hier, mais ce matin, ou bien avant hier.
- Vingt-trois heures, répond Sheyla. Et on est jeudi.
C'était donc bien hier. Je soupire et referme les yeux.
- OK. Laisse-moi maintenant.
- Je voulais te parler.
- Je m'en doute mais moi je veux pas t'écouter.
- Nate...
J'imite sa voix :
- Sheyla...
- S'il te plait. Je sais que j'ai été désagréable mais c'est justement de ça dont je veux parler. Entre autres.
Ça me surprend assez pour me convaincre de me retourner. Comme il est tard, Sheyla a remplacé sa tenue d'entraînement habituelle par un jogging et un grand t-shirt, et je vois ses cheveux lâchés pour la première fois depuis ma soirée d'anniversaire. C'est ce qui lui donne cet air plus humain, plus jeune, mais aussi plus sincère. Ça ne veut pas dire qu'elle l'est, et elle a été plus que désagréable, elle a été horrible. Hors de question de me laisser avoir.
- T'es toujours malade ? demande-t-elle. T'es pâle.
- Moins qu'hier. Je reste couché pour que ça passe plus vite, je veux pas perdre trop de jours d'entraînement.
- Vraiment ?
C'est juste pire de ne rien faire. On attend de moi que je sois un soldat, et maintenant je n'arrive plus à me raccrocher à quoique ce soit d'autre, sans Jaden et sans Evan, c'est le seul morceau d'identité qu'il me reste. J'ai réalisé, en arrêtant de leurs parler, que je n'existait qu'à travers nos interactions. C'est pour ça que les cinq années que j'ai passé sans eux sont si floues. J'étais vide, malgré tout ce que j'ai tenté pour me sentir exister, aucune drogue, aucune substance, même quand j'en ai abusé au point de frôler la mort, n'a eu autant d'effet sur moi qu'une conversation avec eux.
- Oui, vraiment.
Sheyla approche et s'assoit au bord de mon lit.
- C'est très bien, c'est ce qu'il faut faire.
Elle laisse passer un silence avant de reprendre :
- Je suis désolé d'avoir eu l'air si insensible quand je t'ai annoncé pour le risque de mutation lié à ton pouvoir.
- Tu le seras jamais autant qu'Evan.
- Tu ne dois rien attendre de lui. C'est votre accord il me semble.
- Oui, oui...
Je m'y tiens. Je n'attends vraiment plus rien cette fois. Evan ne cillerait même pas si Sasha ressuscitait devant ses yeux. Il trouverait le meilleur moyen d'exploiter son pouvoir et le traiterait exactement comme il l'a toujours traité, même en pleine connaissance des conséquences. Il est vide lui aussi, il n'y a plus de personnalités derrière ses objectifs, c'est tout ce qu'il est. Un moyen. Pas une personne. Il n'y a rien à attendre de ça. Même le détester, c'est encore le rendre trop humain.
