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Tork hocha la tête.

— Talis t'apportera un plateau. Est-ce que tu as d'autres questions ?

Elle ne répondit pas et remonta les escaliers comme un automate en oubliant la présence d'Emmet. Il n'y avait plus rien à faire pour elle.

Elle s'allongea sur son lit de pierre, légèrement hagarde et ferma les yeux. Les mots ne cessèrent de tourner en boucle dans sa tête.

« Sacrifice, sacrifice, sacrifice ».

Allait-elle devenir folle avant de monter sur cette maudite stèle ? Elle ferma les yeux et compta les secondes en fonction des lueurs rougeâtres de cette maudite lune, dont l'intensité augmentait et diminuait sur les murs de sa nouvelle prison. Comme une lente respiration hypnotique.

Plus tard, elle entendit les frémissements des vêtements s'approcher d'elle. Talis déposa quelque chose près d'elle et sembla s'immobiliser un instant.

Peut être avait elle d'autres questions à poser a la sacrifiée ? Est-ce qu'une chanson allait être écrite en son honneur, lorsqu'elle sera morte ?

Une boule de dédain se forma dans ses entrailles, à côté de celle qui était désignée comme la colère, bien en place depuis un moment. Est-ce qu'au moins ces gens chantaient leur mort ?

Talis finit par s'éloigner sans un mot.

Pouvait-elle s'échapper de son destin ? Elle voulait retrouver sa terre et plus le temps passait et plus elle avait le sentiment de s'en éloigner.

Il était certain à présent que sa famille la croyait morte.

Elle attendit de nombreuses minutes, peut-être de nombreuses heures, avant de se redresser. Le soleil ne s'était pas encore levé, ce devait être le milieu de la nuit.

Elle glissa un regard à travers la fenêtre. L'astre était toujours là, menaçant, maudit, immuable. Elle détourna les yeux en s'engouffrant dans le couloir sombre et silencieux. De légers ronflements lui parvinrent. Elle pressa le pas, ses pieds nus foulant le sol froid.

De l'air, sa poitrine était si compressée qu'elle avait l'impression que les murs allaient l'engloutir. Ils dormaient tous, dans de petites chambres comme la sienne.

Elle distingua des formes informes sur les lits de pierre. Il ne fallait pas s'attarder par ici. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, il fallait qu'elle s'échappe. Il fallait qu'elle rentre chez elle, peu importe ce qu'il se passerait.

Elle descendit les escaliers aussi discrètement qu'elle le put. La grande salle était vide. La table, la nourriture et pas une Âme erraient par ici. Seuls les cristaux brisaient la lueur rougeâtre constante des lieux de sa lumière cristalline.

Elle était en enfer, ce n'était pas possible autrement. Elle prit la sortie d'un pas rapide. Personne ne l'empêcherait de s'en aller. Dehors, les chevaux attendaient un peu plus loin, enfermés dans un enclos en bois.

Elle continua sur le chemin et traversa l'arche qui menait à la fontaine aux sculptures de pierre. Elle prit le même chemin qu'elle reconnut, celui bordé de cristaux sortant a même de terre, d'un pas assuré.

— Où est-ce que tu vas ?

Lorey se figea, un noeud dans la gorge l'empêcha de respirer durant quelques secondes. Les pas s'arrêtèrent à distance d'un bras dans son dos.

Elle leva la tête et son regard se porta sur la surface d'Ekyr qui couvrait une trop grande partie du ciel. Ses anneaux tournoyant inlassablement, rougeoyant tout ce qui pouvait l'être. Chaque nuit, le monde se transformait en enfer et lui donnait la nausée.

Ses yeux s'humidifièrent et troublèrent sa vue. Allait-il la suivre ou l'empêcher de partir ? Maintenant qu'il savait ce qu'elle était, il n'y avait plus de mystère.

— Je n'veux pas mourir ici, murmura-t-elle dans un sanglot étouffé.

Il ne répondit pas. Son silence était éloquent. Elle essuya ses larmes d'un geste de rage et se retourna sur lui. Son visage était flou à travers ses yeux humides. Elle le repoussa de ses deux mains avec violence, il recula sans un geste.

— C'est de ta faute ! T'as volé ma vie !

Elle le poussa encore avec plus de vigueur, elle avait envie de le voir tomber. Il se laissa simplement faire en reculant chaque fois qu'elle le frappait de toute ses forces. Cela ne dura que quelques instants, ses tatouages surgirent soudainement et il resta bien droit sur ses pieds en encaissant les coups qu'elle ne cessait de lui porter. Son visage était dur et impassible.

Elle ne sut combien de temps cela dura, elle jeta toute sa colère, sa frustration, sa peur à travers ses poings. Ses cris pouvaient porter loin, elle n'en avait rien à faire. Cette lune pouvait lui tomber sur la tête, elle ne pourrait jamais rien y faire. Pauvre petite humaine. Elle ne rentrera jamais chez elle.

Emmet rattrapa ses poignets à mis chemin du dernier coup qu'elle tenta de porter sur lui, sa tolérance était terminée. Lorey se laissa tomber à genoux en hurlant, impuissante. Elle tenta tout de même de s'en défaire, sa colère ne passerait donc jamais ? Elle se recroquevilla sur elle-même, le coeur et le corps en miette. Emmet ne lâcha pas sa prise et se laissa tomber à genoux à son tour.

— Lorey, écoute-moi.

Elle continuait de se débattre comme elle le pouvait en sanglotant. Il lâcha ses poignets et attrapa son crâne entre ses mains, l'obligeant à lever le visage vers lui. En réponse, elle enfonça ses ongles dans ses avant-bras, espérant le blesser autant qu'elle le pouvait en réponse à son désespoir.

— Non, t'es qu'un putain d'enfoiré, j'te déteste. T'as fait de ma vie un enfer !

— Écoute-moi, je te dis ! gronda-t-il en serrant fort sa poigne.

Il la secoua une seconde afin qu'elles reprennent ses esprits. Il n'y avait aucune douceur dans son geste. Il était aussi furieux qu'elle. Il finit par essuyer ses yeux de ses pouces, repoussant les mèches humides collées sur ses joues, afin qu'elle puisse y voir clair et ancrer ses yeux aux siens.

Lorey se mit à trembler, fatiguée de toutes ces horreurs. Son ventre tiraillait de toutes ses émotions. Elle accrocha son regard à ses iris rougeoyants qui la contemplaient avec sévérité.

— Il faut que tu me croies quand je te dis que je n'ai jamais voulu tout ça. C'est ma faute je le sais et je comprends ta colère. Je ne peux pas te laisser te sacrifier par ma faute. Écoute, je trouverais un moyen de te sauver. Je réparerai mon erreur.

Il ferma les yeux et baissa la tête le temps d'un battement et revint vers elle, une expression déterminée sur le visage.

— Je te fais une promesse. Tu ne mourras pas ici. Je les laisserai pas prendre ta vie. Je trouverai un moyen de te sauver.

Il n'y en avait aucun, tout le monde semblait le croire sur cette maudite planète. Elle ne pouvait pas le croire non plus. Il n'y avait aucune solution face à son destin.

— Est-ce que tu m'entends ? murmura-t-il de sa voix rauque en la secouant d'une secousse brève et sèche.

Ses mains encadraient toujours son visage d'une manière exigeante, l'empêchant de fuir son regard.

S'il pouvait y avoir une raison de le croire, elle l'aurait fait. Sa raison lui murmura que non, mais son coeur, son côté encore enfantin, qui croyait aux belles légendes, au prince charmant et aux belles fins d'histoire chatouilla les rebords de sa conscience.

Peut-être qu'il savait quelque chose qu'aucun autre ne savait. Peut-être allait-il la sauver ?

Il attendait une réponse, ses yeux rouges posé sur elle, inflexible. Ses doigts encerclant son crâne la défiaient de refuser. Ses tatouages ondulèrent sous sa peau, enchantant son esprit.

Elle se rendit compte qu'elle ne pleurait plus. Une pointe d'espoir naissait dans son ventre et prit son envol, comme des papillons.

— Je te crois, souffla telle dans un murmure à peine audible.

Tatouage de Sang - Malédiction. Tome 1Where stories live. Discover now