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Lorey avait l'impression de s'être retrouvé en enfer. La nuit était tombée et un voile humide commençait à accentuer la fraîcheur ambiante. Et tout ce qui se trouvait autour d'elle possédait une aura rougeâtre, absolument déconcertant, dû au fléau qui régnait dans le ciel.

Le sol habituellement brun était devenu rouge foncé, comme du sang séché, les touffes d'herbes sur le bas coté avaient perdu leurs couleurs naturelles, même la surface des crânes chauves de ces hommes luisait d'un halo rouge.

Elle se tourna vers Emmet qui n'avait cessé de l'observer en silence. Lui aussi était entouré de brume rouge, le dessus de ses pommettes, de ses sourcils, de ses épaules. Un frisson glacé la parcourut. La forêt l'avait protégée de cette vision d'horreur.

— Je veux rentrer chez moi, s'entendit-elle dire dans un murmure déchiré.

Dans un mouvement fluide, Emmet l'attira à lui. Sans répondre à cette étreinte inattendue de la part de l'assassin, elle colla malgré tout sa joue contre son torse et se laissa transporter par le battement de son coeur, calme et maîtrisé. Elle ferma les yeux un instant pour oublier où elle se trouvait et ne pas penser a ce qui allait suivre.

Sa vie était d'une simplicité déconcertante sur terre. Elle repensa à la mine anxieuse de sa mère, là, au pied du train. Elle put entendre la sonnerie stridente qui avait retenti alors, les gens pressés d'entrer dans le wagon. Elle revit la main qui l'avait soutenue toute sa vie, levé en l'air dans un dernier au revoir, tandis que le train se lançait sur les rails et qu'elle disparaissait de sa vue.

Son coeur se fit lourd dans sa poitrine. La tendre routine rassurante de sa vie n'était plus. Un sanglot se coinça dans sa gorge, mais elle n'eut pas le temps d'éprouver cette émotion. Emmet la décolla brutalement de lui et encadra son visage de ses mains pour l'approcher du sien. Un cercle de feu brillait à l'extérieur de ses iris, captivant.

— Lorey, reste concentrée. Ne te laisse pas aller. Chaque chose l'une après l'autre. Allons chercher du bois pour le feu. Ensuite vas t'éclaircir les idées à la rivière. Je vais m'absenter le temps de chasser, d'accord ?

Ses doigts pressèrent ses tempes, comme s'il voulait la retenir sur le temps présent. Son visage était si proche du sien qu'elle pouvait sentir son souffle caresser ses joues.

Il la remua d'une secousse sèche pour la rappeler à l'ordre, ses yeux austères la jaugeant profondément. Elle ne devait pas oublier son objectif. Elle ferma les yeux quelques secondes et hocha la tête.

Il la lâcha alors rapidement et s'éloigna d'elle pour chercher au sol, des morceaux de bois ou de branche. Elle l'aida à en rassembler suffisamment. Lorsqu'ils eurent fini et qu'il alluma le feu, il hocha la tête dans sa direction et attendit qu'elle lui réponde par la même, avant de s'éloigner en silence.

Comme une ombre, il disparut rapidement de sa vue. Elle souffla d'amertume et rejoignit la rivière pour se rafraîchir et boire tout son saoul.

Le clapotis de l'eau qui s'écoulait l'apaisa un instant. Elle se perdit en observant la réverbération rouge de l'astre juste au-dessus d'elle. Elle s'interdit de lever les yeux vers lui. Elle avait encore du mal à se rendre compte de tout ce qu'il s'était passé.

Traverser un portail, captive sans lumière pendant des jours, mourir puis revenir à la vie, fuir en compagnie d'un dangereux monstre assassin, survivre dans un monde inconnu. Comprendre ce qu'elle était vraiment.

Elle comprit alors qu'elle ne pourrait pas rentrer chez elle sans apprendre tout ce qui la concernait. Elle ne pourrait pas faire semblant d'avoir une vie normale sur terre, sachant qu'il y avait quelque chose qui l'habitait et qui l'avait même empêché de mourir et partir en laissant un monde à sa propre perte derrière elle.

Tatouage de Sang - Malédiction. Tome 1Where stories live. Discover now