Chapitre 51

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Les fêtes de fin d'année approchaient. Il y avait un sapin, dans le hall d'entrée du manoir, qu'Elwina n'avait remarqué que le lendemain matin, alors qu'elle se rendait en cours. Haut en couleurs et en décorations, il avait probablement été élaboré par les enfants du quartier.

C'est seulement lorsqu'elle était arrivée devant l'arrêt de bus que l'étudiante avait reçu une notification de sa faculté, informant que de récentes manifestations avaient bloqué l'université : les cours de la journée étaient annulés. La brunette avait lâché un soupir de frustration, tout en fourrant son téléphone de sa poche. Elle n'avait aucune idée de quoi faire : les cousins de Fleuri étaient encore dans la maison, et elle n'avait pour autant aucune envie de retourner dans l'appartement d'Ascelin.

Il faisait beau. Du moins, beau pour la saison. Et elle était assez couverte pour supporter le froid hivernal.

Et cela faisait plusieurs jours qu'elle en mourrait d'envie.

C'est naturellement qu'elle avait pris son sac et fait demi-tour. Elwina avait traversé Kerdoueziou, ignorant royalement tous ceux qu'elle avait croisés sur son chemin. Au bord ouest du village, la jeune femme avait longé les sentiers creusés dans les falaises, qui lui étaient à présent familiers. Elle se souvenait très exactement où se trouvait le nid des dragons. Et elle s'y était arrêtée, regardant d'un air décidé les vagues se briser sur la roche, quelques mètres plus bas. Il y avait bien une cavité, là, immense. Assez pour faire rentrer le géant.

Enfin, la géante, plutôt. Elwina avait lu qu'il s'agissait d'une femelle, née dans les années mille-six-cent. Les deux autres, eux, étaient des mâles. Le blanc était le plus âgé de tous, et le rose pâle le plus jeune —une cinquantaine d'années. Il s'appelait Askre, c'était Roméo qui l'avait nommé ainsi. Ce qui expliquait pourquoi il restait toujours fourré contre son aînée.

Comme la dernière fois, c'était le dragon immaculé qui était arrivé le premier. L'animal avait furtivement tourné autour d'elle, tout en l'observant attentivement de ses yeux jaunes. Elwina n'avait rien dit. Elle s'était contentée de rester au bord du précipice, si près que le bout de ses pieds pendait dans le vide. Il faisait beau, mais il y avait du vent. L'écume des vagues brisées volait dans l'air, et remontait jusqu'à elle. Quelques particules d'eau venaient humidifier son visage, ses cheveux, ses vêtements.

La jeune femme baissa le regard. Là, sous elle, de la grotte taillée dans la falaise, jaillis une gigantesque patte griffue. Suivie d'une autre. Elles griffaient la pierre, y laissant d'énièmes entailles.

La géante sortait de son antre, et son effroyable tête apparut bientôt, encadrée d'ailes qui se déployèrent soudainement, aidant le gigantesque corps à se déplacer. Contrairement à ses petits congénères, qui avaient deux pattes arrière et une paire d'ailes serties de doigts crochus, la race de ce dragon-là avait également deux pattes avant.

Ses serres vinrent se planter en haut de la falaise, de part et d'autre de la jeune femme. L'immensité de ses ailes était déployée, laissant à découvert sa peau noire, recouverte d'un fin duvet.

Elwina tourna la tête sur le côté. Le dragon blanc la frôlait, ses ailes sagement repliées contre son dos. Les deux créatures s'examinèrent quelques secondes. La bête avait la bouche entrouverte, laissant entrevoir ses dents jaunies, aiguisées, et inévitablement mortelles. Le son qui sortait de sa bouche était un gargouillement aigu, et il avait approché sa tête, pour toucher délicatement la joue féminine du bout de son museau. Si la brunette avait légèrement froid jusqu'ici, le souffle du dragon sur sa peau eut don de revigorer tout son corps. Le contact n'avait duré qu'une demie seconde. Voilà que le long cou de l'animal était revenu en arrière, que son aile droite s'était déployée pour glisser dans le dos féminin, et que son corps rebondissait d'excitation sur ses pattes. Il roucoulait. La métamorphe ne comprenait pas ce qu'il disait, mais ses yeux intelligents étaient un langage suffisant. Poussée par ses bras, elle s'était rapprochée des serres du géant. L'aile était stable. Elwina marchait dessus sans aucun déséquilibre. L'ossature du dragon ressemblait aux fondations d'une statue de marbre, et avant même qu'elle ne réalise ce qui se passait, voilà qu'elle se trouvait dans la grotte.

La malédiction des chats noirsWhere stories live. Discover now